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Page:Langlois - Collection des historiens anciens et modernes de l’Arménie ; Première période, tome 2, 1869.djvu/75

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des dominateurs de l’Égypte, ne porta jamais, et qui lui fut donné parce qu’il était plus philhellène[1] que tout autre, et qu’il cultiva avec amour la langue grecque. Bien d’autres exemples de faits analogues l’on fait nommer roi des Grecs ; mais, en résumé, nous en avons assez dit sur ce [Ptolémée].

Beaucoup d’hommes célèbres de la Grèce, aimant la science, se sont appliqués à traduire en grec non seulement les documents des archives des autres nations, tant celles des rois que celles des temples, — comme celui qui confia le soin de ce travail à un certain Bérose (Piourios), Chaldéen très versé dans toutes les parties de la science, — mais encore tout ce qu’il y avait de plus grand et de plus admirable dans les arts. Tous ces documents découverts par eux en quelque lieu que ce soit, ils les recueillirent et les firent passer dans la langue grecque, comme l’aïp au khè, le za et le tho au piour, le guienn à l’iesch et le au scha [2]. Ces hommes, dont nous savons exactement les noms, recueillant tous ces documents, les consacrèrent à la gloire du pays des Hellènes. Ce sont [des écrivains] recommandables, puisque, par amour de la science, ils découvrirent, à force de recherches, les productions des autres ; mais ceux-là sont plus recommandables encore, qui ont accueilli et honoré ces découvertes de la science ; c’est pourquoi je dis qu’assurément la Grèce est la mère et la nourrice de toutes les sciences.

Ceci suffit au surplus pour prouver le besoin que nous avions des renseignements [fournis par] les Grecs.

CHAPITRE III.

Du manque de philosophie de nos premiers rois et princes.

Je ne veux pas laisser, sans le flétrir d’un blâme, le manque de philosophie de nos ancêtres ; mais je veux dès à présent leur adresser un reproche sévère. Car si [on prodigue] des louanges méritées à ceux des rois qui ont confié à l’histoire écrite les époques de leurs règnes, en consignant chacun de leurs actes de sagesse et de courage dans des poésies traditionnelles[3] et dans des annales, et si les chanceliers occupés par l’ordre des rois à faire des compilations meritent aussi nos éloges ; par leur moyen, disons-nous, nous acquérons une expérience plus complète des institutions humaines, en lisant avec plaisir les discours et les récits savants des Chaldéens et des Assyriens, des Égyptiens et des Hellènes, et nous aspirons à [conquérir] la sagesse de ceux qui se sont préoccupés de si nobles études.

Il est donc évident pour nous tous que nos rois et nos ancêtres se sont montrés très peu soucieux de la science, et que leur intelligence était très bornée. Car, bien que nous sachions que nous ne sommes qu’un petit coin de terre, [un peuple] peu nombreux, d’une force limitée et souvent assujetti à une autre puissance, on signale souvent dans notre pays beaucoup d’actions de valeur, dignes d’être recueillies dans les annales, et aucun de nos [rois] n’a pensé à les faire enregistrer. Ils n’ont pas songé à se faire du bien à eux-mêmes, ni à laisser leur nom dans le monde, [ni à le confier] à la mémoire [des générations] ; et nous porrions continuer la série de nos reproches, et leur réclamer de plus grandes choses et de plus anciennes.

Mais quelqu’un dira peut-être : Ce fut l’absence de caractères d’écriture et de littérature[4] en ce temps-là, ou les guerres nombreuses qui se succédèrent sans relâche.

Cette objection n’est pas juste, car il y a toujours des intervalles entre les guerres ; ensuite il existait des caractères perses et grecs, qu’on trouve encore aujourd’hui chez nous, transcrits sur de nombreux registres, où sont constatées les affaires des villages, des cantons et même de chaque maison, beaucoup de procès et de traités généraux, et principalement les registres relatifs à la succession des satrapies[5]. Mais il me semble

  1. L’arménien a traduit mot à mot le composé φιλέλλην par « ounasèr ».
  2. Ce passage, que l’on a essayé d’interpréter de diverses manières, reste encore aujourd’hui une énigme qu’il semble impossible de pénétrer. On doit croire que c’est un passage corrompu par les anciens copistes qui, n’ayant pas saisi le sens de ce membre de phrase, auront dénaturé le texte, de façon à le rendre incompréhensible.
  3. Le mot veb qui a habituellement le sens de « chant, » signifie ici un « poëme historique. » — Cf. Emin, Vebkh… Chants de l’ancienne Arménie (en arménien), préface, p. 7, et Collect. des hist. armén., t. I, p. 17, note 1, col. 1. Le même, trad. de l’Hist. de Moïse de Khorène en russe, note 7, p. 238.
  4. Cf. Collection des hist. d’Arm., t. I ; p. xiv et suiv., du Discours prélim., p. 14, note 4.
  5. Le mot asadouthioun qui a le sens de « liberté » veut dire ici des « terres libres », c’est-à-dire des « domaines de satrapes » lesquels étaient exempts d’impôts, comme les terres de l’Église. Le code de Mékhitar Kosch, connu sous le nom de Tadasdanakirkh et qui se conserve en manuscrit dans plusieurs bibliothèques, a très-bien défini ce qu’il faut entendre par ces « terres libres » qui formaient autant de seigneuries indépendantes. — Cf. aussi Indjidji, Antiq. de l’Arm., t. II, p. 77.