On s’est souvent demandé ce qu’il fallait penser de la moralité publique
au IVe siècle, surtout dans les hautes classes de l’empire. En
général on est tenté de la juger sévèrement. Quand nous songeons que
cette société était à son déclin, et qu’elle n’avait plus que quelques
années à vivre, nous sommes tentés d’expliquer ses malheurs par ses
fautes et de croire qu’elle avait mérité le sort qu’elle allait subir.
C’est ce qui fait que nous ajoutons foi si facilement à ceux qui nous
disent du mal d’elle. Il y a surtout deux contemporains, Ammien
Marcellin et saint Jérôme, qui ont pris plaisir à la maltraiter ; et,
comme ils appartiennent à deux partis contraires, il nous paraît naturel
de penser que, puisqu’ils s’accordent, ils ont dit la vérité. J’avoue
pourtant que leur témoignage m’est suspect. Ammien a consacré aux
sénateurs de Rome deux longs chapitres de son histoire ; mais ces
chapitres ont, dans son œuvre, un caractère particulier : on
s’aperçoit, lorsqu’on les lit avec soin, qu’il a voulu composer des
morceaux à effet, dont le lecteur fût frappé, et que, dans ces passages,
qui ne ressemblent pas tout à fait au reste, il est plus satirique et
rhéteur qu’historien…. Que nous dit-il d’ailleurs que nous ne sachions
d’avance ? Il nous apprend, ce qui ne nous étonne guère, qu’il y a dans
ce grand monde beaucoup de très petits esprits : des sots qui se croient
des grands hommes parce que leurs flatteurs leur ont élevé des statues ;
des vaniteux, qui se promènent sur des chars magnifiques, avec des
vêtements de soie dont le vent agite les mille couleurs ; des glorieux,
qui parlent sans cesse de leur fortune ; des efféminés, que la moindre
chaleur accable, « qui, lorsqu’une mouche se pose sur leur robe d’or ou
qu’un petit rayon de soleil se glisse par quelque fissure de leur
parasol, se désolent de n’être pas nés dans le Bosphore Cimmérien » ; des
athées,