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[Lect. II.]
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RIG-VÉDA. — SECTION DEUXIÈME.

sur la terre ; qui, au nombre de onze[1] habitez les ondes, ayez ce sacrifice pour agréable.


HYMNE IV.

À Agni, par Dîrghatamas.

(Mètres : Trichtoubh et Djagatî.)

1. Pour celui qui réside dans le lieu saint[2], qui habite nos demeures, pour le brillant Agni, apporte le foyer, lequel est, pour ainsi dire, le trône (du dieu). Ainsi que d’un vêtement, couvre de la prière (Agni) pur et lumineux, au char resplendissant, (Agni) qui tue les ténèbres.

2. Il naît sous deux formes[3] ; il reçoit (ici-bas) une triple nourriture[4], et cette nourriture ensuite va augmenter le corps de (l’astre) qui roule autour du monde. Sous une de ces formes, il est près de nous, et il croît de ce que sa langue consume. Sous l’autre forme, il inonde (de rayons) bienfaisants ses serviteurs, que (d’en haut) il couvre de sa protection.

3. Marquées de teintes noires et vivement agitées l’une contre l’autre, ses deux mères[5] produisent leur nourrisson, lequel tourne vers l’orient sa langue[6], qui dans sa marche tremblante, rapide, tortueuse, réclame de grands soins, et s’engraisse des libations de son père[7].

4. Arrivent les (flammes) vives et légères, salutaires à Manou quand il veut poursuivre son œuvre[8], traçant un noir sillon, s’avançant d’un pas inégal et pressé, poussées par le vent et précipitant leur course fougueuse.

5. Bientôt Agni prend une forme noire, large, énorme ; ses (flammes) en tremblant courent çà et là. De proche en proche il gagne du terrain ; soufflant, frémissant, il s’avance avec bruit.

6. Il s’attache aux branches, comme la parure (au bras). Il vient en mugissant, tel que le taureau qui court vers ses maîtresses. Il soumet à sa force tous les corps, et apparaît terrible, insaisissable, ayant l’air d’agiter ses cornes menaçantes.

7. Agni, se concentrant ou se divisant, embrasse les branches ; et quand une fois ils se sont bien connus mutuellement, (le dieu) ne les quitte plus. Cependant les flammes s’augmentent, s’élèvent et changent la face divine des deux aïeuls (du monde[9]).

8. Ces flammes, en se courbant, forment autour d’Agni une espèce de chevelure. Tantôt elles semblent se dresser, tantôt tomber et mourir. (Agni) revient les sauver de leur perte ; il fait entendre son grand souffle, et les rappelle à la vie.

9. (Agni), dévorant les libations que répand sur lui le maître du sacrifice, prend une vigueur nouvelle et poursuit son triomphe. L’un augmente la nourriture du (dieu) qui marche toujours ; l’autre la consume, et laisse après lui un noir sentier.

10. Agni, brille dans nos (demeures) riches en offrandes ! qu’on entende ton souffle, généreux Damoûnas[10] ! Brille en répandant tes flammes, qui sont comme tes nourrissons ; et, pour nous couvrir dans les combats, deviens notre cuirasse.

11. Ô Agni, que cet hymne que nous avons composé pour toi soit à tes regards plus précieux que tel autre hymne qui n’a pas eu de succès ! que cette partie de ton corps, qui brille pure et lumineuse, nous procure les biens que nous désirons !

12. Ô Agni, pour que notre maison traverse heureusement (ce monde), tu peux nous donner un vaisseau dont les rames marchent sans jamais s’arrêter, (un vaisseau) qui transporte à l’abri du naufrage nos guerriers, nos princes, notre peuple.

13. Agni, accepte cet hymne. Que le Ciel et la Terre, que les Mers, avec leurs ondes impétueuses, le reçoivent aussi ! Que les rougeâtres

  1. Cette énonciation générale de 33 dieux est bien régulière. Il n’est pas aussi facile de nommer ces dieux avec les distinctions ici tracées. Dans l’Oupnékhat, tome I, page 207, les 33 dieux sont les 12 Adityas, les 8 Vasous, les 11 Roudras, puis Indra et Pradjâpati, c’est-à-dire Brahmâ.
  2. Ce lieu saint, c’est le védi, c’est-à-dire, l’espace réservé pour le sacrifice.
  3. Il y a une espèce de correspondance entre le feu du sacrifice et le feu du soleil. Ces deux feux sont le même, et le soleil, pour s’allumer, semble attendre que le sacrifice soit commencé. Ce sont les libations qui nourrissent sa lumière ; le culte rendu au feu qui réside dans le foyer terrestre augmente l’ardeur du feu qui réside dans le disque céleste. Agni naît donc le matin doublement sur la terre et dans le ciel ; il brille pour brûler au sacrifice et pour éclairer le monde.
  4. Cette triple nourriture donnée au feu, ce sont les libations qui ont lieu trois fois par jour.
  5. Ce sont les deux pièces de bois qui forment l’aranî, et tirées du Sami et de l’Aswattha.
  6. C’est-à-dire, sa flamme. Le foyer est tourné du côté de l’orient.
  7. Le père d’Agni, c’est le maître du sacrifice.
  8. Littéralement, quand il veut se conduire en Manou. Manou, c’est l’homme en général ; mais en particulier c’est l’homme religieux, fondateur des rites pieux, et principalement instituteur du culte du feu.
  9. Du ciel et de la terre.
  10. Voy. page 122, col. 1, note 1.