Page:Langlois - Rig Véda.djvu/523

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[Lect. VI.]
515
RIG-VÉDA. — SECTION SEPTIÈME.

viens à lui sous le nom de Varouna[1]. Ô (Dieu appelé) Djatavédas, tu es le petit-fils des Ondes[2], tu es le messager de celui dont tu ornes l’holocauste.

6. Tu attelles à ton char de merveilleuses cavales, et tu conduis le Sacrifice et la Libation. Ta tête s’élève dans le ciel, ô Agni. Ta langue donne le bonheur et transporte l’holocauste.

7. Trita[3] a voulu s’associer à l’œuvre d’Indra, et seconder, au sein (du foyer), les efforts du père souverain (des êtres). Devant (le Ciel et la Terre), grands parents (du monde)[4], il prétend s’unir (à Agni) ; il se déclare enfant des Ondes, et demande leurs armes.

8. Portant les armes maternelles, et excité par Indra, Trita attaque (l’Asoura) aux trois têtes, aux sept rayons ; il le tue, et délivre les vaches que gardait cet enfant de Twachtri.

9. Indra, maître de la piété, frappe (aussi cet ennemi) superbe, qui avait obtenu tant de puissance. Encouragé par le désir de reconquérir les Vaches (célestes), il coupe les trois têtes du fils de Twachtri, qui possède toutes les formes.


HYMNE IV.
Aux Eaux, par le richi Sindhoudwipa, fils du roi Ambaricha, ou Trisitas, fils de Twachtri.
(Mètres : Gâyatrî et Anouchtoubh.)

1. Eaux merveilleuses, vous augmentez notre vigueur ; vous la rendez plus forte, plus agréable, plus remarquable.

2. Faites-nous goûter à votre breuvage fortuné ; soyez pour nous comme de tendres mères.

3. Nous venons vous prier en faveur de l’homme, dont vous aimez l’habitation. Eaux (généreuses), vous êtes nos mères.

4. Que ces Eaux divines viennent heureusement satisfaire à nos désirs et à notre soif. Qu’elles coulent pour notre félicité.

5. Eaux, qui êtes reines des hommes et maîtresses de la richesse, je vous demande un remède à mes maux.

6.[5] Dans les Eaux, m’a dit Soma, sont tous les remèdes. Agni fait le bonheur de tous, et les Eaux guérissent tous les maux.

7. Eaux salutaires, protégez mon corps contre les maladies ! que je puisse longtemps voir le soleil !

8. Eaux purifiantes, emportez tout ce qui peut être en moi de criminel, tout le mal que j’ai pu faire par violence ou par libertinage[6].

9. En ce jour, j’ai honoré les Eaux ; nous nous sommes présentés avec (des coupes remplies de) ce précieux élément. Agni, toi qui aimes les libations, viens, et couvre-moi de ton éclat[7].


HYMNE V.
Dialogue d’Yama et d’Yamî. — Richis[8] : Yama et Yamî.
(Mètre : Trichtoubh.)

1. (Yamî). Qu’un ami vienne à son amie. Traverse le large océan (de la mort). Que le sage (Vivaswân), pour fruit de ses méditations, voie le petit-fils de son père s’étendre sur la terre.

  1. Voy. page 498, col. 2, note 3. Varouna est un nom donné quelquefois à Agni, environné des ondes du sacrifice.
  2. Les Ondes forment le Soma, et le Soma contribue à alimenter Agni.
  3. Trita (Je ne parle pas du Richi, auquel est attribué cet hymne, et qui peut être indépendant de celui dont il est ici question) est le Déva de la triple libation ; il est dit Aptya, c’est-à-dire enfant des Ondes. Nous avons vu page 74, col. 1, note 4, et page 104, col. 2, note 3, les légendes qui couraient sur ce personnage. Nous en trouvons ici une nouvelle. Trisiras, c’est-à-dire l’Asoura à trois têtes, est un fils de Twachtri. C’est le Ciel nocturne, gardien des trois stations du Soleil au moment des trois libations. Trita le tue, et délivre les Vaches, autrement les rayons d’Agni, que Trisiras empêchait de sortir.
  4. J’aimerais mieux traduire : non loin de ses deux parents, c’est-à-dire de l’Aranî.
  5. Les strophes suivantes se trouvent déjà section I, lect. ii, hymne iv.
  6. Dans le même passage, première section, lecture ii, hymne iv, strophe 22, j’ai commis une erreur de traduction j’avais lu sapé, au lieu de sépé.
  7. Un manuscrit contient une strophe de plus, qui n’est point dans le commentaire.
  8. J’ai déjà prévenu que le mot auteur ne traduisait pas exactement le mot richi. Le Richi n’est pas toujours l’auteur d’un hymne ; c’est celui qui y prend la parole. Dans plusieurs hymnes précédents j’avais douté du bon emploi que je faisais du mot auteur. (Voyez page 508, col. 2, note 1. Ici je n’ai pu éprouver aucune hésitation. L’hymne que nous allons traduire semble être une scène d’un petit drame sacré, dont nous n’avons que cette page. En effet, Yama doit se décider à remplir son office éternel ; il doit renaître pour mourir encore.

    Yama et Yamî sont deux enfants de Vivaswân. Voy. page 511, col. 1, note 1. Yamî, sœur et épouse d’Yama, me paraît être, selon l’usage, la prière employée pour Yama ; ainsi Indrânî est l’épouse d’Indra, Agnâyî celle d’Agni, etc. Quant au personnage d’Yama, il me semble être pour Agni ce que Varouna est pour Mitra : c’est Agni nocturne, c’est Agni mort dans le sacrifice, et endormi dans l’Aranî, d’où il doit renaître. Dans l’hymne vii, qui va suivre, le poëte dit que Vrihaspati, le Sacrifice, meurt, et livre son corps à Yama. La signification de ce mot doit être celle qu’indique le Dictionnaire de M. Wilson, no 3. Cessation, stop, conclusion, finish. Yama, c’est Agni, qui a cessé de briller ; c’est le sacrifice qui est éteint ; c’est la noirceur de la nuit qui a remplacé l’éclat du jour ; c’est l’interruption du sacrifice perpétuel de la lumière et de la vie. Yama est le feu latent, enseveli dans l’Aranî, et que l’effort des prêtres doit ressusciter : c’est Agni privé de sa flamme, c’est le soleil de nuit dont la chaleur est morte. Les compagnons d’Yama sont les Pitris, c’est-à-dire les Pères du sacrifice, les Dévas dont les feux ne brûlent plus (Voy. page 347, col. 1, note 3, les Rites personnifiés dont l’œuvre est terminée. Quand on considère ces Dévas du sacrifice comme des êtres réels, ils sont aussi appelés Pitris ou Pères des sacrificateurs, sages antiques qui passent pour avoir institué les cérémonies du culte : ce sont alors des Mânes, et Yama est leur roi. En sa qualité d’Agni, Yama préside aux funérailles ; il y est invoqué comme gardien des morts, et ses feux y consument les chairs ; les os sont déposés dans la terre sous sa surveillance. « Yama est un Djâtavédas, » dit le poëte ; « mais c’est un Djâtavédas différent de celui des sacrifices. » C’est-à-dire que c’est le même être, avec une destination différente. Son origine indique encore que c’est un dieu du sacrifice. Twachtri, Agni organisateur, a enfanté Vivaswân, c’est-à-dire l’être brillant, l’être sacrifiant, Agni, dieu du sacrifice et dieu de la lumière. Il lui donne pour épouse Saranyoû, qui est la succession diurne du sacrifice, ou plutôt la Libation, ainsi unie à Agni. Vivaswân et Saranyoû ont pour enfant Yama, qui est la cessation du sacrifice, la mort de la lumière. Par toutes ces considérations, je me crois fondé à regarder Yama comme une des formes d’Agni. La légende des Pourânas ne ressemble pas tout à fait à celle du Rig-Véda : cependant le dernier trait de cette même légende, qui donne à Yama un pied (pada) desséché, semble faire allusion au foyer (pada) d’Agni, dont la flamme est épuisée.