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[Lect. III.]
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RIG-VÉDA. — SECTION PREMIÈRE.

brassait de toute sa grandeur, foulent et pressent maintenant Ahi terrassé.

9. La mère de Vritra[1] s’abaisse ; Indra lui porte par dessous un coup mortel ; la mère tombe sur le fils. Dânou est étendue comme la vache avec son veau.

10. Le corps de Vritra, ballotté au milieu des airs agités et tumultueux, n’est plus qu’une chose sans nom, que submergent les eaux. Cependant, l’ennemi d’Indra est enseveli dans le sommeil éternel.

11. Ces ondes, vaches (célestes), avaient été comme emprisonnées par Pani[2], elles étaient devenues les épouses d’un vil ennemi, et confiées à la garde d’un pasteur tel qu’Ahi. Indra tue Vritra, et ouvre la caverne où les eaux se trouvaient enfermées.

12. Telle la queue du cheval (pour les insectes qui l’attaquent), tel tu étais alors, divin Indra, pour cet (ennemi) qui, dans ce duel (terrible), te frappait aussi de son arme. Vainqueur héroïque, tu reprenais les vaches célestes, tu venais jouir de nos libations reconnaissantes, tu donnais carrière aux sept fleuves[3].

13. Ni l’éclair, ni la foudre, ni la pluie, ni le tonnerre lancé par son ennemi, au moment où Indra et Ahi combattaient, rien ne put arrêter Indra ; Maghavan triompha des efforts de ses adversaires.

14. Pouvais-tu croire qu’un autre que toi fût capable de tuer Ahi, quand tu sentis, avant de lui donner la mort, la crainte entrer dans ton cœur ? (C’est encore par amour pour nous que tu frémis de terreur, quand tu traversas les airs, comme l’épervier, au-dessus de ces quatre-vingt-dix-neuf[4] torrents formés par les eaux.

15. Indra, roi du monde mobile et immobile, des animaux apprivoisés et sauvages, (dieu) armé de la foudre, est aussi roi des hommes. Comme le cercle d’une roue en embrasse les rayons, de même Indra embrasse toutes choses.




LECTURE TROISIÈME

HYMNE I.

À Indra, par Hiranyastoûpa.

(Mètre : Trichtoubh.)

1. Venez, allons vers Indra, (qui nous enverra) les vaches (célestes) que nous désirons ; il peut faire le bonheur des hommes sagement pieux. (Dieu) invulnérable, il nous fait goûter tous les plaisirs de l’abondance que procurent ces vaches (merveilleuses).

2. De même que l’épervier vole vers son nid, moi je me rends vers ce maître généreux et invincible, et j’honore par mes justes louanges cet Indra digne de tous les hommages de ses serviteurs.

3. Entouré de son armée[5] il a pris son carquois et ses flèches. Il est pour nous le père de famille[6] qui conduit ses vaches là où il veut. Indra, toi qui donnes la richesse, montre-toi généreux ; ne sois pas pour nous un marchand.

4. Et voilà pourquoi tu as frappé de ton arme (Vritra), le brigand[7] chargé de butin ; Indra, seul

  1. Le poëte donne à la mère de Vritra le nom de Dânou, comme qui dirait Donatrix. Je n’ose pas caractériser cet être allégorique. Serait-ce la vapeur dont se forme le nuage ?
  2. Voy. lecture i, note 7, col. 1, page 44. Ce mot Pani doit avoir le sens d’avare.
  3. C’est le nombre ordinaire par lequel on désigne en général les fleuves : tels le Gange et autres, dit le commentaire.
  4. Nombre défini pour un nombre indéfini.
  5. Cette armée, dit le commentateur, ce sont les nuages. Je croirais que le poëte désigne ainsi la troupe des Marouts.
  6. Les mots père de famille servent de traduction au mot Arya, que je regarde comme fort important. Mon opinion particulière est que la colonie indienne conduite par Manou, et qui s’est établie dans l’Aryâvartta, venait des contrées qui sont à l’occident de l’Indus, et dont le nom général était Arie, Ariane, Hiran. Le mot simple arya, et le mot de descendance, ârya, devaient être la dénomination générale des colons, qui devinrent propriétaires des terres. De là résulte que dans la langue ordinaire, le mot Arya, cessant d’être un nom de peuple, a conservé le sens de maître ; plus tard encore, le système des castes ayant été établi, les hommes attachés à la culture de la terre ont conservé la dénomination d’Arya, confondue avec celle de Vésya. Cependant les anciens habitants du sol indien avaient été repoussés sur les montagnes, et, contraints de vivre de déprédations, ils avaient reçu le nom de dasyou (brigand). Peut-être aussi devaient-ils ce nom à leur caractère barbare, qui contrastait d’une manière étonnante avec celui des Aryas, moral et religieux ; tellement que le mot arya ou ârya était devenu synonyme de bon, de respectable. À mesure que les colonies ariennes se sont multipliées, le nom du peuple s’est perdu, pour faire place à des dénominations nouvelles tirées des lieux ou des personnages ; mais je pense que comme le mot Hellène a désigné en général les peuples grecs, le mot Arya a longtemps aussi distingué les nations indiennes, et qu’on le trouve plus d’une fois avec cette signification dans les hymnes que je traduis. Ici Indra reçoit cette épithète : c’est une manière d’identifier le dieu avec la nation par le moyen d’un mot à double entente et cher à tous les souvenirs : Indra est maître, il est Arya. Tel est le nom que l’on donna dans la suite à la déesse Pârvatî ; elle fut aussi Arya.
  7. C’est-à-dire le Dasyou, comme tout à l’heure Indra était appelé Arya. On pourrait croire, en lisant cet hymne, que c’est un chant allégorique en l’honneur d’une victoire remportée sur les brigands de la montagne, sous la protection du dieu national Indra.