Page:Langlois - Seignobos - Introduction aux études historiques, 1899.djvu/297

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Curtius et Lamprecht. C’est que ces auteurs, s’adressant au public, ont l’intention d’agir sur lui. Leur désir de produire une impression forte les conduit à relâcher quelque chose de la rigueur scientifique et à revenir aux habitudes condamnées de l’ancienne historiographie. Eux, si scrupuleux et si minutieux lorsqu’il s’agit d’établir des détails, ils s’abandonnent dans l’exposé des questions générales à leurs penchants naturels, comme le commun des hommes. Ils prennent parti, ils blâment, ils célèbrent ; ils colorent, ils embellissent ; ils se permettent des considérations personnelles, patriotiques, morales ou métaphysiques. Et, par-dessus tout, ils s’appliquent, avec le talent qui leur a été départi, à faire œuvre d’artiste ; s’y appliquant, ceux qui n’ont pas de talent sont ridicules, et le talent de ceux qui en ont est gâté par la préoccupation de l’effet.

Ce n’est pas à dire, bien entendu, que la « forme » soit sans importance, ni que, pourvu qu’il se fasse comprendre, l’historien ait le droit d’avoir une langue incorrecte, vulgaire, lâche ou pâteuse. Le mépris de la rhétorique, des faux brillants et des fleurs en papier n’exclut pas le goût d’un style pur et ferme, savoureux et plein. Fustel de Coulanges fut un écrivain, quoiqu’il ait, toute sa vie, recommandé et pratiqué la chasse aux métaphores. Au contraire, nous répéterons volontiers[1] que l’historien, vu l’extrême complexité des phénomènes dont il essaie de rendre compte, n’a pas le droit de mal écrire. Mais il doit toujours bien écrire et ne jamais s’endimancher.

  1. Cf. plus haut, p. 230.