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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/101

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LA CRITIQUE DE BOILEAU.

plongeaient dans le fin du fin, et trouvaient des délicatesses infiniment subtiles de pensée et d’expression ; il leur fallait avoir un esprit qui ne fût qu’à eux, quelque chose d’exquis et de rare, dont il n’y eût pas d’autre exemplaire en aucun lieu du monde des esprits. Ils faussaient et corrompaient la nature, qui veut que l’intelligence tende au vrai, et que le langage soit le signe de l’idée : ils faisaient un jeu capricieux de la pensée et de la parole, et ne s’occupaient qu’à surprendre et briller. D’autres, qui prétendaient décrire le monde des réalités visibles, chargeaient leur tableau de tant de couleurs, altéraient ou grossissaient si fantastiquement toutes les formes, que la nature n’était plus que le prétexte et non le sujet de leur peinture. Les feux d’artifice de leur imagination aveuglaient si bien le lecteur, qu’il ne voyait plus le paysage au-dessus duquel ils se déployaient. D’autres enfin, partant en sens inverse, au lieu de tout embellir, ne savaient que pousser à la charge et charbonner des caricatures. Tout l’homme, toute la nature, la politique, la science, et même la religion, tout se revêtait indifféremment du style burlesque. Entre la fadeur et la finesse, entre l’enflure et le grotesque, la simple nature et la réelle humanité passaient inaperçues, inexprimées. Précieux et galants, emphatiques et bouffons, il n’en était pas un qui se servît de ses yeux pour voir, et de sa bouche pour traduire la sensation de ses yeux : c’était trop vulgaire, et ce n’était pas la peine d’avoir de l’esprit — ou de s’en croire — pour faire un