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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/107

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LA CRITIQUE DE BOILEAU.

peut être cette cause, sinon la beauté effective et intrinsèque des œuvres ?

Mais qu’est-ce que cette beauté même, sur laquelle se fait l’accord de tant d’hommes si différents d’ailleurs ? Il ne suffit pas de dire que les hommes sont les mêmes dans tous les temps : il faut préciser et sortir des abstractions. Ce n’est pas seulement l’homme juge des œuvres, qui ne change pas : c’est la nature, aussi matière des œuvres. Aujourd’hui, les mêmes passions qu’il y a vingt siècles agitent le monde ; les mêmes désirs, les mêmes craintes mènent les hommes, et les mêmes formes et qualités des choses font les mêmes impressions sur nos sens. Voilà le fondement de l’immortalité des œuvres antiques. Nous y reconnaissons la nature, exactement et vigoureusement rendue, et c’est parce que nous les sentons vraies, d’une vérité qui nous saisit immédiatement, que nous pouvons les admirer autant que firent les hommes auxquels elles apparurent dans leur nouveauté. Racine, dans sa préface d’Iphigénie, remarquait avec plaisir que ses spectateurs avaient été émus des mêmes choses qui ont mis autrefois en larmes le plus savant peuple de la Grèce, et que le goût de Paris s’était trouvé conforme à celui d’Athènes : c’est que « le bon sens et la raison étaient les mêmes dans tous les siècles », et le même objet, en deux images également fidèles, ne pouvait que produire mêmes impressions. Voilà justement pourquoi Boileau ne se lasse pas de proposer les anciens à l’imitation de ses contemporains.