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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/182

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BOILEAU.

cette vérité importante : que le mouvement général de la littérature se compose d’un grand nombre de mouvements particuliers, de vitesses très inégales ; qu’il y a pour une langue, et qu’il y a pour chaque genre des points de perfection qui sont atteints à des moments très différents : le progrès commence à peine d’un côté, que la décadence se fait sentir de l’autre. Ainsi le français n’a point été toujours apte à tous les genres. Ronsard et ses imitateurs ont été bientôt décriés, parce qu’ils n’avaient point attrapé dans notre langue « le point de solidité et de perfection, qui est nécessaire pour faire durer et fixer à jamais des ouvrages ». Bertaut, Malherbe, Lingendes et Racan rencontrèrent « dans le genre sérieux le vrai génie de la langue française, qui, bien loin d’être en son point de maturité du temps de Ronsard, n’était même pas sortie de sa première enfance ». Ainsi Ronsard devait échouer dans l’ode et dans la grande poésie, non faute de génie, mais parce qu’il venait trop tôt. Au contraire, Marot, plus ancien que lui, a fixé, la langue s’y prêtant, « le vrai tour de l’épigramme, du rondeau et des épîtres naïves ». À Rome, Cicéron et Virgile ont marqué « le point de perfection de la langue » par leurs écrits : mais plus d’un siècle avant eux, la comédie avait trouvé assez de ressources dans cette langue encore imparfaite pour atteindre sa perfection propre, et depuis elle ne faisait que décroître, quoique l’idiome latin et la littérature générale fussent en progrès.

Même remarque, si l’on compare les langues