Aller au contenu

Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
194
BOILEAU.

Cette société reçut l’Art poétique comme le code officiel et pour ainsi dire le livre sacré du bon goût : et ce préjugé une fois reçu se tourna en lourde tyrannie, parce que dans le monde il est de mauvais ton de ne pas penser comme tout le monde. Mais le xviiie siècle ramena Boileau à son niveau pour l’adapter à son usage : et sous le nom de Boileau, ce fut lui-même, son goût personnel, ses secrètes tendances, qu’il déifia. La doctrine de Boileau fut amputée précisément de ce qu’elle avait de plus éminent et caractéristique, de ce double caractère naturaliste et esthétique, où s’exprimait, avec le génie même de l’auteur, la spéciale beauté du grand art classique. Par suite, il n’en demeura que la partie la plus étroite, et la plus contestable. Partout où Boileau paraissait encourager la littérature mondaine, ingénieuse, artificielle et noble, partout où il avait l’air d’avoir peur ou mépris de la nature, et d’encourager l’esprit à la farder, en un mot, dans ses erreurs, ses timidités et ses incorrections, on le suivit, et l’on érigea sa théorie mutilée en loi souveraine de la poésie.

En réalité Perrault, vite oublié, compta plus de disciples que Despréaux : sa thèse du progrès continu répondait bien aux idées philosophiques qui étaient alors en vogue, en même temps qu’à la légèreté présomptueuse d’une société, qui, donnant les limites de sa raison pour limites à la raison, ne voyait que barbarie, inconvenance et fausseté en dehors de la conformité aux goûts, aux bienséances