Aller au contenu

Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
196
BOILEAU.

leur forme parfaite, et l’art d’étendre lui-même des lieux communs ou de les condenser en sentences ; jamais il n’aura senti vivre dans un texte grec l’âme de la Grèce, ou de tel Grec ; il ne se doutera pas qu’on peut tirer d’une phrase d’orateur ou d’une période poétique des émotions aussi profondes et de même ordre que celles qu’excite un temple ou une statue. Au fond, le culte des anciens n’est plus qu’un formalisme frivole : l’éducation classique range un homme dans la bonne société.

Le siècle refait l’antiquité à son image, qui lui ressemble comme les divinités d’opéra à l’Olympe homérique. Il n’a que de l’esprit, l’abbé Delille mettra donc de l’esprit dans Virgile. Ah ! miseram Eurydicem ! répétait malicieusement Collé : « bien malheureuse », en effet, d’être tombée aux mains d’un traducteur si coquet. Plus crûment Despréaux — car ce travers se faisait déjà sentir de son temps — pestait contre « ce bourreau de Tourreil » qui faisait le crime de donner de l’esprit à Démosthène.

Le malheur est que le xviiie siècle n’a pas beaucoup le sens artiste en littérature : c’est même pour cela qu’il arrive si peu à bien goûter les anciens. Mais, pour la même raison, il ne peut se donner à lui-même par sa seule énergie ce que l’imitation de l’antiquité avait aidé les grands classiques à créer : une poésie originale, qui fût vraiment une œuvre d’art. Il n’en a pas d’abord, faute de sentiment et d’imagination ; quand le sentiment et l’imagination s’éveillent, il n’en a pas encore, faute d’un