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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/58

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BOILEAU.

jugements, puis en actes, jamais en émotions, en représentations capables d’exciter le sentiment seul en dehors d’un objet présent qui sollicite aux actes. Il est serviable, généreux : il n’a pas la sympathie compréhensive, il ne s’unit pas par l’amour à ses semblables, à la création ; il ne mêle pas son âme dans les choses. Jamais cartésien ne fut plus retranché dans son moi. Voilà par où Boileau diffère de La Fontaine et de Racine : c’est pourquoi ils sont de grands poètes, tandis que l’on doit démontrer la poésie de Boileau. Totalement dépourvu de tendresse, incapable d’effusion et d’épanchement, il n’aime pas la nature qu’il rend : il y a de l’indifférence dans la fidélité consciencieuse de son imitation. Ou du moins toute la sympathie dont il est touché, c’est celle d’un peintre devant un panier de cerises ou un chaudron de cuivre.

Aussi la poésie de Boileau est-elle précisément dans la partie de son œuvre qu’on a coutume de négliger comme « vulgaire et insignifiante » ; dans le Repas ridicule, dans les Embarras de Paris, dans le Lutrin, dans quelques morceaux de la Satire X. C’est là qu’il a tâché de rendre la nature qu’il avait vue, telle qu’il l’avait vue. Qu’avait-il donc vu de la nature ? Pas grand’chose assurément. Représentez-vous sa vie, et vous concevrez de quelles sensations premières était faite l’étoffe où il taillait ses ouvrages.

D’abord, il est de la ville, et vécut à la ville. Il aimait la campagne cependant, il s’y plaisait, quand parfois il faisait un séjour chez son neveu Dongois