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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/68

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BOILEAU.

tués que nous sommes à mettre la poésie dans la passion et l’enthousiasme, nous avons peine à nous figurer un poète qui, froidement, regarde la nature, sans l’animer, et la copie, sans l’altérer, curieux seulement de l’aspect des choses, et s’efforçant de fixer dans une image adéquate la sensation physique qu’il en a reçue. Mais, si l’on refuse à Boileau le nom de poète, c’est la poésie réaliste elle-même qu’il faut nier. Il se peut qu’on ait droit de le faire : en tout cas, on ne pourra contester qu’il y ait un art réaliste ; et c’est cet art réaliste qui a produit au xviie siècle les vers de Boileau, comme ailleurs il a produit des tableaux et des romans. On peut trouver le génie de Boileau étroit, incomplet : il lui reste d’avoir été unique en son genre au temps où il vivait. Car je ne vois pas qui l’on pourrait mettre avec lui, plus haut ou plus bas, dans le même groupe. Seul il représente le réalisme pittoresque, qui ne mêle aucun élément sensible ni moral dans ses peintures. Du moins il aurait pu le représenter : et ce qui lui manque pour être un grand poète, c’est d’avoir été purement et simplement le poète qu’il était né pour être.

Sainte-Beuve s’applaudit quelque part de l’heureuse influence exercée par Louis XIV sur les écrivains de son temps : sans Louis XIV, Boileau, pour ne parler que de lui, eût fait plus de Repas ridicules et d’Embarras de Paris. Si c’était vrai, jamais Louis XIV n’aurait pu rendre plus mauvais service à Boileau : mais par malheur, celui-ci n’avait pas besoin