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Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/98

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BOILEAU.

chose revêche dont la froideur des vieillards éteint l’enthousiasme de la jeunesse, et que l’utilitarisme des bourgeois évoque pour condamner les poètes et les artistes : ce n’est pas la raison qui envoie Chatterton au suicide, et fait épouser cinq cent mille francs de dot aux jeunes premiers de Scribe. Non, la raison de Boileau n’a rien de commun avec l’esprit positif, calculateur, prosaïque, de la bourgeoisie de 1830. Ce n’est pas non plus la raison des idéologues et des philosophes, la raison raisonnante, analytique et critique, qui loge tout l’univers en formules abstraites dans l’esprit humain, et réduit toute l’activité de l’intelligence à une sèche algèbre : ce n’est pas la raison de Voltaire et de Condillac. Mais c’est la raison cartésienne, dominatrice et directrice de l’âme humaine, dont elle règle toutes les facultés sans en empêcher aucune : c’est celle qui, par essence, distingue le vrai du faux.

Mais qu’est-ce qu’une pensée vraie, en poésie ? La poésie est un art, et la vérité n’y est pas d’un autre ordre qu’en peinture et en sculpture : c’est la vérité de l’imitation, la conformité de la représentation figurée au modèle naturel. Dans le style, c’est l’équivalence du mot à l’idée : dans la conception, l’équivalence de l’idée à l’objet. Nous n’avons qu’à rapprocher deux ou trois vers épars dans l’œuvre de Boileau, et sa pensée se dégagera avec une netteté parfaite :

Aimez donc la raison : que toujours vos écrits
Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix.