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L’INFLUENCE DE CORNEILLE.

d’énergie pour s’élever de cette médiocrité morale à une moralité supérieure : plus on doit attacher de prix aux initiatives créatrices, aux affirmations personnelles de la conscience, qui sait s’ouvrir un champ d’effort. Si dans la vie actuelle il faut vouloir non seulement, comme toujours, pour accomplir les durs sacrifices, mais même pour en trouver l’occasion, si, comme les bêtes féroces, les périls de conscience ont reculé devant la civilisation, s’il faut courir après le sacrifice, au lieu de l’attendre, de quel prix devient la leçon de Corneille ? Mais en réalité, il n’y a pas à aller si loin ; seulement les pentes sont plus douces, les ennemis plus cachés. Il faut avoir une réflexion plus aiguë et une volonté toujours tendue pour ne pas se laisser envelopper, et pour ne pas se laisser tomber. Le mal se déguise et se complique : la faute n’est plus une brusque chute dans l’abîme, mais une lente et douce submersion. Il faut à la fois de la subtilité pour échapper aux sophismes insidieux par où se préparent les capitulations, et de la raideur pour dire du premier coup le non efficace et sauveur, avant d’avoir laissé prendre même le pan de son habit dans l’engrenage. Subtile raison, roideur intransigeante, où trouvera-t-on de cela mieux que chez le vieux Corneille ?

Ce professeur d’énergie est donc en définitive un bon maître de morale : non pas, si vous voulez, pour définir théoriquement les objets, mais du moins pour donner les modèles pratiques de l’activité. Avec lui on apprend à voir clair en soi-même, à choisir ses actes, à se tenir dans ses résolutions,