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CORNEILLE.

charmante, que celle où la jalouse fille voudrait troubler l’entretien galant de sa maîtresse et du cavalier qui lui en avait conté d’abord : on l’envoie chercher un mouchoir, regarder si une chambre est finie de tendre, s’assurer si son voisin est sorti ; et toujours elle dépêche sa commission, et revient se jeter en travers des déclarations, arrêter les aveux. Cela est digne de Marivaux.

Les hommes sont bien vus, très divers et très naturels, sous leur fade nom de roman. Voici le grand seigneur, accompli d’esprit et de manières, à qui il ne manque que la fortune, et qui cajole la suivante pour avoir accès à la riche héritière. Là c’est un gentilhomme pauvre, fier, de sang vif, intraitable sur l’honneur, qui, épris d’une riche veuve, ne veut pas s’exposer à l’affront d’un refus, et attend les avances de sa maîtresse. Ailleurs c’est l’amant infortuné, à qui manquent les deux amours qu’il avait suivis, et qui s’en va oublier son double échec par six mois de voyage en Italie. C’est le cavalier timide, le provincial encore gauche, qui, dans un bal, fait danser une jeune fille sans desserrer les dents, puis tout d’un coup, l’ayant ramenée à sa place, se lance, et débite toute sorte de pauvretés, de lieux communs et de fadeurs, ce qu’il a lu dans les livres. Un autre craint le mariage ; et quand il se sent pris, n’ayant plus la force de quitter, il se fait mettre à la porte par sa maîtresse, le cœur meurtri, mais l’esprit soulagé de voir qu’il échappe encore cette fois au sacrement indissoluble. Aucun ne court aux duels en héros de roman ou ne dégaine en galant espagnol ; mais ils sont fiers et fermes, prêts à appuyer leurs