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CORNEILLE.

ni l’Académie ni Scudéry, en critiquant le Cid, ne la comprenaient encore. Scudéry posait en principe, et l’Académie n’en disconvenait pas, qu’une tragédie ne comporte pas d’intrigue, ni aucune incertitude du dénouement ; que, dès le premier instant, le malheur s’y dessine, sans tenir jamais les esprits en suspens. C’est-à-dire qu’il définissait encore la tragédie comme on pouvait le faire au temps des Juives ou de Scédase. Mais, avec le Cid, l’intérêt et le travail tragique s’étaient déplacés : le fait n’était plus la matière, mais la conclusion de l’action, et l’important n’était plus de voir marier ou égorger les héros, c’était de suivre pas à pas leur progrès vers l’un ou l’autre but, d’expliquer par quels ressorts croisés ils tombaient dans l’état définitif de bonheur ou de malheur. Le drame consistera désormais dans le conflit psychologique plutôt que dans l’intensité pathétique, quoique, dans le Cid et dans quelques-unes des premières tragédies du poète, l’intensité pathétique se rencontre.

De cette conception qu’il amène à toute la précision technique dont elle est susceptible, Corneille tire les règles minutieuses de l’agencement des pièces de théâtre. Comme il faut que le spectateur saisisse bien le mécanisme producteur du dénouement, il ne faut pas se charger d’hypothèses trop nombreuses, c’est-à-dire fonder l’action sur un trop grand nombre de données que la mémoire aurait peine à retenir et l’esprit à ajuster ensemble. Comme il faut qu’on suive sans peine le jeu de ce mécanisme, il faut que tous les ressorts qui joueront soient présentés et classés le plus vite possible :