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la littérature en formation.

railleuse des informations des journaux, plus occupés d’amuser le lecteur que de l’éclairer, tout, pendant un temps, fit croire qu’il n’y avait là qu’une immense mystification, ou une immense prétention, une furieuse réclame, et un magnifique avortement. En réalité le mouvement était sérieux et fécond, et la révolution tumultueuse enveloppait une très raisonnable évolution[1].

Les deux maîtres dont on se réclamait, étaient fort inégaux. Mallarmé[2], qui a exercé par sa conversation, paraît-il, exquise, une action considérable, est un artiste incomplet, inférieur, qui n’est pas arrivé à s’exprimer. Verlaine[3] est un vrai poète : et plus d’une fois, il a été un grand poète. Naïf et compliqué, très savant et très spontané, il a exprimé avec un art raffiné et sincère le duel de l’esprit et de la chair, les douloureuses angoisses de l’âme élancée vers son Dieu, et les furieuses joies du corps vautré dans sa corruption. Il retournait au romantisme, en faisant de la poésie le cri d’une âme manifestant sa destinée.

Mais décadents et symbolistes, en rompant avec le Parnasse, ne voulaient pas retourner au romantisme. Ils en avaient assez des tableaux d’histoire ou de mœurs, des paysages précis et comme solides, des discours de science et de philosophie, de toute la poésie objective et impersonnelle ; mais ils ne voulaient pas recommencer le journal ou la confession de leur vie, emplir leurs vers de leurs expansions biographiques. Dans les paysages, ils saisirent non la forme fixe des choses matérielles, mais le reflet fugitif de l’heure ou de la saison, du temps qui passe, mais le rythme incessant de la vie en travail, la décomposition et la recomposition qui ne s’arrêtent pas. Dans le moment et dans le mouvement ils inscrivirent les choses éternelles, les lois secrètes de la nature et de l’être. Entre la fluidité des apparences et l’éternité des causes, la réalité particulière du corps sembla

  1. Sur le, symbolisme, consulter : Charles Morice, la Littérature de tout à l’heure, 1889 ; R. de Souza, le Rythme poétique, 1892 ; E. Vigié-Lecoq, La poésie contemporaine, 1897 ; Ad. van Bover et Paul Léautaud, Poètes d’aujourd’hui, 1900 ; J. Lemaître, Revue bleue, 7 janv. 1888 ; F. Brunetiere, Revue des Deux Mondes, 1er nov. 1888 et 1er avril 1891 : Hurel, Enquête sur l’évolution littéraire, 1891 ; W.G. C. Byvanck, Un Hollandais à Paris en 1891, 1892 ; G. Lanson. The new poetry, dans The International Monlhly, oct. 1901. — L’éditeur ordinaire des symbolistes est l’éditeur Vanier.
  2. Stephane Mallarmé, 1842-1898. Vers et Prose, Perrin et Cie, 1893 : c’est un florilège. Les œuvres de Mallarmé avaient paru en éditions généralement coûteuses ; L’après-midi d’un faune, 1876 ; Poésies complètes, 1888 ; Pages, 1890-1891 ; Les poèmes de Poé, 1888 ; Divagations, 1897.
  3. Paul Verlaine (1844-1896) : Poèmes saturniens, 1866 ; Sagesse, 1881 ; Jadis et naguère, 1885 ; Parallèlement, 1889 ; etc. Œuvres complètes, Vanier, 6 vol., 1899-1903. — Il faut nommer Jean-Arthur Rimbaud (1854-1891). Les illuminations, 1886 ; Œuvres, 1898. Il fut un des ouvriers de la première heure du symbolisme.