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la langue française au xvie siècle.

sont constitués pour en juger, étant ravis et transportés de telle affection, prononcent… »

1541 : « Or à toi appartient, Roi… »

1560 : « Or c’est votre office, sire… »

1541 : « Et ne te doit détourner le contemnement de notre abjection. »

1560 : « Et ne devez être détourné par le contemnement de notre petitesse. »

1541 : « Mais nous ne lisons point ceux avoir été repris qui aient trop puisé… »

1560 : « Mais nous ne lisons point qu’il y en ait eu de repris pour avoir trop puisé. »

1541 : « Cestuy étoit Père, qui… »

1560 : « C’étoit un des Pères, qui… »

1541 : « Voysent maintenant nos adversaires… »

1560 : « Que maintenant nos adversaires aillent… [1] »

Et pareillement Calvin remplace en 1560 loquacité par babil, abnégation par renoncement, diriger par adresser, subjuguer par dompter, expéter par désirer, promouvoir par avancer, médiocre par moyen, cogitation et présomption par pensée, locution par façon de parler, etc. C’est le résultat, de dix-huit années de travaux, d’écritures multiples, de prédications incessantes, qui ont formé en lui une faconde toujours claire et coulante. L’exercice populaire de la parole a poli plus tôt le langage de Calvin, en a retranché l’excès et la « débauche » : tout le siècle finit par y venir. La bouffissure se réduit et la raideur se détend. Bertaut, Régnier, Montchrétien, François de Sales, Du Vair se réduisent à l’usage du peuple, au parler naturel et commun. Les composés à la mode grecque [2], le provignement, les emprunts aux patois se font de plus en plus ares. L’archaïsme et le latinisme s’effacent à la fois et se fondent dans l’aisance spontanée de la phrase française : si bien qu’à vrai dire les vestiges de la vieille langue passent à l’état de licences bizarres, et les formes latines tendent à devenir une question de style plutôt que de grammaire.

Mais là, comme dans la poésie, le progrès n’est pas sans compensation : littérairement, je préfère le premier style de Calvin, si laborieux, mais si plein et si nerveux, à la facilité pâteuse qu’il a plus tard acquise. Et en général le défaut de cette langue de la fin du siècle, entre 1580 et 1620, quand le génie individuel ne la réveille pas, c’est une sorte d’égalité diffuse, sans nerf et sans accent.

On sent bien que la langue s’est réglée plutôt par une sorte de

  1. Lettre à François Ier, éd. du Corpus Reformatorum, t. III.
  2. M. Chénevière n’en a compté que deux dans Bertaut, porte-larmes et fausse-foy.