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la littérature pendant la révolution et l’empire.

ses dogmes, sa doctrine et son culte ;… qu’elle favorise le génie, épure le goût, développe les passions vertueuses, donne de la vigueur à la pensée, offre des formes nobles à l’écrivain, et des moules parfaits à l’artiste [1]… » Ce vaste dessein d’apologie se développait à travers quatre parties : Dogmes et doctrines, Poétique, Beaux-Arts et Littérature, Culte.

Au point de vue philosophique et logique, le Génie du Christianisme est singulièrement faible. On y trouve des raisonnements étonnants, fondés sur une érudition plus étonnante encore. Chateaubriand dérive foyer de foi ; et là-dessus nous fait admirer dans la foi la source de toutes les vertus, de toutes les joies domestiques. Sur les difficultés de la chronologie universelle il élève la certitude de la chronologie hébraïque avec une aimable aisance qui fait sourire. Il a un chapitre prodigieux sur le rôle du serpent dans la chute de l’homme, et, nous racontant la rencontre qu’il a faite d’un Canadien charmeur de serpents, il en tire une induction en faveur de la vérité de l’Écriture. Il croit remarquer qu’ « on ne s’avise pas de peindre le beau idéal d’un cheval, d’un aigle, d’un lion », et ce privilège de l’homme, seul idéalisable, lui est une preuve de l’immortalité. Aux arguments baroques, il mêle de rares maladresses. Il trouve la Trinité au Thibet, à Otaïti ; dans une dévotion populaire, il aperçoit une trace du culte des Dieux lares : il croit donner des appuis à la religion par ces rapprochements, et il ne se doute pas que, pour en ôter le ridicule, il en ruine la divinité. Il va jusqu’à écrire : « Plus on approfondira le christianisme, plus on verra qu’il n’est que le développement des lumières naturelles, et le résultat nécessaire de la vieillesse de la société [2] ». Voyez un peu où mène un beau zèle ! L’historien athée et déterministe ne parlerait pas autrement.

Les deux livres intitulés Existence de Dieu prouvée par les merveilles de la nature, et Immortalité de l’âme prouvée par la morale et le sentiment [3] sont d’une incomparable candeur dans le maniement des preuves. Que les nids des oiseaux sont bien faits ! Donc Dieu existe. Certains oiseaux ont des migrations régulières. Donc Dieu existe. Le crocodile pond un œuf comme une poule. Donc Dieu existe. J’ai vu une belle nuit en Amérique. Donc Dieu existe. Un beau coucher de soleil en mer. Donc Dieu existe. L’homme a le respect des tombeaux. Donc l’Ame est immortelle. Un père, une mère s’attendrissent au bégaiement du nouveau-né. Donc l’âme est immortelle. « Nous penserions faire injure aux lecteurs en nous arrêtant

  1. P. I, L. 1, Introd.
  2. P. IV, L. 1, ch. vi.
  3. P. I, L. V et VI.