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chateaubriand.

personnes divines qui y allaient, venaient, et tracassaient, faire de la représentation de cette nature un des principaux objets de l’art, et l’autre de l’expression des plus intimes émotions de l’âme, ramener partout le travail littéraire à la création artistique, et lui assigner toujours pour fin la manifestation ou l’invention du beau, ouvrir en passant toutes les sources du lyrisme comme du naturalisme, et mettre d’un coup la littérature dans la voie dont elle n’atteindra pas le bout en un siècle : voilà, pêle-mêle et sommairement, quelques-unes des divinations supérieures qui placent ce livre à côté de l’étude de Mme  de Staël sur l’Allemagne. C’était en deux mots la poésie et l’art que Chateaubriand ramenait à la place de la rhétorique et de l’idéologie : c’était le sentiment de la nature et l’inquiétude de la destinée qu’il offrait comme thèmes d’inspiration, pour remplacer la description des mœurs de salon et la mise en vers de toutes les notions techniques. Il n’avait pas la netteté de conception de Mme  de Staël ; ses idées étaient plus confuses, mais elles étaient plus vastes. Il y avait surtout plus d’harmonie entre ses idées et son tempérament ; elles n’en étaient que le reflet. Il les sentait avant de les penser, au lieu que Mme  de Staël pensait plus qu’elle ne sentait. Aussi fit-il des œuvres plus claires, plus complètes, plus expressives que sa théorie.


4. ATALA, RENÉ, LES MARTYS, L’ITINÉRAIRE.


Chateaubriand eut en sa vie deux vastes conceptions épico-romanesques : les Natchez et les Martyrs. Atala et René ne sont que des débris des Natchez ; ces deux récits étaient allés d’abord grossir le Génie du Christianisme : Atala s’en détache avant l’impression ; René y reste incorporé jusqu’en 1805. L’Itinéraire appartient aux Martyrs : ce sont les notes du voyage entrepris par Chateaubriand pour se suggérer la vision précise des lieux où se passait l’action de son poème. Le Dernier Abencérage est une transposition poétique des impressions d’Espagne, qui n’avaient pu trouver place dans le cadre des Martyrs, et c’est de plus une réplique ou réduction d’une des idées fondamentales de la grande épopée : musulman et chrétienne, chrétien et païenne, au fond des deux récits est l’antithèse de deux religions.

Dans les Natchez comme dans les Martyrs, Chateaubriand a voulu poser deux mondes face à face, et deux types historiquement opposés de la mobile humanité. Dans les Natchez, œuvre de jeunesse, bien que publiée tardivement, le Nouveau Monde et l’Ancien Monde, l’homme de la nature, le sauvage, et l’homme de