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avant-propos.

plus au-dessus de tout examen, s’ils ont pu, en se préparant, oublier qu’ils étaient candidats, et pratiquer la littérature pour elle-même.

Il appartient à d’autres de juger ce que j’ai pu faire : je rends compte de ce que j’ai voulu faire, de l’idée qui m’a guidé dans mon travail.

On a faussé en ces derniers temps l’enseignement et l’étude de la littérature. On l’a prise pour matière de programme, qu’il faut avoir parcourue, effleurée, dévorée, tant bien que mal, le plus vite possible, pour n’être pas « collé » : quitte ensuite, comme pour tout le reste, à n’y songer de la vie. Ainsi, voulant tout enseigner et tout apprendre, absolument tout, n’admettant aucune ignorance partielle, on aboutit à un savoir littéral sans vertu littéraire. La littérature se réduit à une sèche collection de faits et de formules, propres à dégoûter les jeunes esprits des œuvres qu’elles expriment.

Cette erreur pédagogique dépend d’une autre, plus profonde et plus générale. Par une funeste superstition, dont la science elle-même et les savants ne sont pas responsables, on a voulu imposer la forme scientifique à la littérature : on est venu à n’y estimer que le savoir positif. Il me fâche d’avoir à nommer ici Renan comme un des maîtres de l’erreur que je constate : il a écrit dans l’Avenir de la science cette phrase où j’aimerais à ne voir qu’un enthousiasme irréfléchi de jeune homme, tout fraîchement initié aux recherches scientifiques : « L’étude de l’Histoire littéraire est destinée à remplacer en grande partie la lecture directe des œuvres de l’esprit humain ». Cette phrase est la négation même de la littérature. Elle ne la laisse subsister que comme une branche de l’histoire, histoire des mœurs, ou histoire des idées.

Mais pourtant, même alors, c’est aux œuvres mêmes, directement et immédiatement, qu’il faudrait se reporter, plutôt qu’aux résumés et aux manuels. On ne comprendrait pas que l’histoire de l’art dispensât de regarder les tableaux et