Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/1048

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1026
l’époque romantique.

naissance du sentiment de la patrie dans l’âme obscure des masses populaires, pendant l’horrible guerre de Cent Ans ; il voit éclore ce sentiment dans la dévotion chrétienne et monarchique, il le voit s’incarner dans la douce voyante qui sauve la France, dans Jeanne d’Arc ; et jamais la pieuse fille n’a été mieux comprise que par ce féroce anticlérical. Les pages qu’il lui consacre, où il analyse les causes de tout ordre qui ont produit et fait réussir la mission de Jeanne d’Arc, peuvent être étudiées comme contenant tout le génie de Michelet.

Dans la dernière période de sa vie, Michelet, chassé du Collège de France, chassé de ses chères Archives, pour refus de serment après le coup d’État de 1851, se retire aux environs de Paris, puis près de Nantes, puis, pour sa santé, près de Gênes. Là, son âme de poète, plus tendre, plus enthousiaste, plus juvénile que jamais, s’ouvre à la grande et divine nature, qui toujours, du reste, avait été la religion de son intelligence, la joie de ses sens. Il fixe ses impressions, ses visions, ses frissons, ses suggestions dans des livres étranges, difficiles à classer, souvent délicieux, l’Oiseau, l’Insecte, la Montagne, la Mer : le lyrisme y déborde, mais un lyrisme nourri de fortes idées, pénétré de science solide. On comprendrait moins bien le génie historique de Michelet, si l’on n’avait vu dans ces ouvrages à quel point la poésie de son style et ce don d’évocation qui rend ses récits si vivants résultent d’une communion d’âme avec toutes les manifestations de la vie. Les descriptions qu’ils renferment, paysages, ou phénomènes naturels, ou bien actes des êtres vivants, nous aident aussi à reconnaître la singulière acuité de sa vision : son œil reçoit l’impression des plus fines modifications de la nature sensible, et sa mémoire les rend en leur fraîcheur première.


La nature, si dure et si immorale au sentiment de beaucoup de nos contemporains, est pour Michelet une inépuisable source de joie, de force et de foi : il y renouvelle sa vie morale. Spiritualisée par lui, elle est la grande consolatrice de son âme délicate ; il s’y plonge, et il revient à l’humanité, avec un espoir plus fort, une pitié plus large.

Il mêle parfois à ses enseignements une indiscrète physiologie, une politique ou une philosophie d’apocalypse ; il exagère jusqu’à la dureté les reliefs de son style. Mais il rachète tous ses défauts par l’ardente virilité, par la générosité foncière des prédications dont il essaie de fortifier les générations nouvelles. A force de vibrante et candide sincérité, il est un des rares laïcs à qui il ait été donné de catéchiser sans ridicule.

On a publié depuis sa mort quelques carnets de notes de voyage, où les belles descriptions, les fortes émotions ne manquent pas :