Aller au contenu

Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/1089

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1067
la comédie.

nettement les mouvements des pantins réels que la caricature amplifie comme dans Célimare le bien-aimé (1863), et tantôt — ce qui est le mieux — la charge s’amortit, s’affine en un joli tableau de mœurs, comme dans cette soirée sous la lampe, en province, qui fait le premier acte de la Cagnotte (1864). Sans poser pour le moraliste, sans avoir de mots amers ni cruels, le bon Labiche nous donne assez souvent l’inquiétante sensation que ces imbéciles, ces ahuris, ces détraqués qui nous réjouissent, ne sont pas loin de nous.

Je mets plus haut, pour ses chefs-d’œuvre, un genre qui appartient spécialement au second empire, et qui en est, à certains égards, l’originale expression : je veux parler de l’opérette telle que l’a compris Offenbach[1], surtout lorsque ses rythmes échevelés coururent sur les livrets de Meilhac et Halévy. Dans ces livrets d’une bouffonnerie énorme et pourtant fine[2], dont la fantaisiste irréalité semble se rapprocher parfois de la comédie de Musset, dans cette « blague » enragée qui démolit tous les objets de respect traditionnel, en politique, en morale, en art, et qui ne reconnaît rien de sérieux que la chasse au plaisir, revit ce monde du second empire que les romans et les comédies, plus brutalement ou plus sévèrement, s’efforceront de représenter : monde effrénément matérialiste, si vide de conviction qu’il ne croyait même pas à lui-même, se moquant du pouvoir et de l’argent qu’il détenait, et se hâtant, avant de les perdre, d’en acheter le plus possible de plaisir. La plus démoralisante séduction émane de ces œuvres légères, où se mêlent subtilement la froide ironie et la griserie sensuelle. Hors de là, les livrets d’opérette ne sont que vulgaire polissonnerie ou fadeur sentimentale.


2. LA COMÉDIE : ÉMILE AUGIER.


La comédie proprement dite, étouffée entre le vaudeville à prétentions de Scribe et le drame à grand fracas des romantiques, reparut avec éclat vers 1850, quand Augier donna sa Gabrielle (1849) et M. Dumas fils sa Dame aux Camélias (1852) : non point la comédie classique, joyeuse et générale, mais une comédie drama-

  1. Offenbach (1819-1881), né à Cologne. h. Crémieux lui donna le livret d'Orphée aux Enfers (1861).
  2. Ludovic Halévy (1834-1908), a écrit, avec Meilhac (né en 1832), la Belle Hélène (1865), la Vie parrisienne (1866), la Grande-Duchesse de Gerolstein (1867), les Brigands (1869). Ils ont fait quelques comédies, dont Froufrou (1869) et la Petite Marquise. — De M. Halévy on a des études satiriques, des nouvelles et des romans qui sont d’un écrivain délicat ; de M. Meilhac, diverses comédies d’une fantaisie originale.