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la comédie.

filles riches, l’obstacle au bonheur, dans Ceinture dorée (1855), dans Un beau mariage (1859), dans les Fourchambault (1878), déjà dans Philiberte (1853).

Mais Augier regarde le mouvement de la société contemporaine, et, avec indignation, il en dénonce les vices. Deux surtout : la fièvre des spéculations, la poursuite enragée de la fortune par le mélange de l’adresse et de l’effronterie, par l’alliance de la Bourse et du journal (les Effrontés, 1861) : puis la « blague », l’ironie dissolvante qui tourne les scrupules de conscience en ridicules gothiques, et nettoie le terrain pour l’âpre et sec matérialisme (la Contagion, 1866 ; Jean de Thommeray, 1873). À ces deux traits de la société du second empire, Augier, en pur bourgeois libéral, en ajoutera un troisième : le jésuitisme. Ennemi déclaré du parti religieux, au point qu’il lancera son Fils de Giboyer (1802) contre Veuillot et le journalisme catholique, il aura surtout l’horreur des Jésuites, dont il dénoncera l’effrayante politique avec une violence ingénue dans Lions et Renards (1869).

Toutes ces œuvres, robustes et saines, dans leur philosophie un peu courte, sont d’excellentes études de mœurs[1]. Un vigoureux sens des réalités soustrait l’œuvre aux dangers de la thèse, et l’empêche de s’évanouir dans l’abstraction comme de se dessécher dans le symbole. Les caractères sont d’un relief remarquable, d’une analyse un peu sommaire, mais bien vivants et dramatiques en leurs énergiques raccourcis. Il est fâcheux qu’une conception grossière du personnage sympathique ait peuplé la comédie d’Augier de jeunes savants vertueux et de polytechniciens candides, qui valent les beaux colonels de Scribe. Mais, sauf le fantastique agent des jésuites, Augier a bien réussi les coquins, les demi-coquins, les honnêtes gens entamés, tout ce qui a tare ou vice, jusqu’à l’égoïsme inconscient et la veulerie pernicieuse.

Ses grandes qualités ressortent surtout dans ces admirables pièces, où, sans thèse, il ne s’est attaché qu’à exprimer les mœurs qu’il voyait, en leur ridicule ou navrante corruption : dans le Gendre de M. Poirier (1854), qui met aux prises deux types si vrais de bourgeois enrichi et de noble ruiné ; dans les Lionnes pauvres (1858), où l’honnête Pommeau et sa femme forment un couple digne de Balzac, et nous offrent le tableau des ravages que l’universel appétit de richesse et de luxe peut faire dans un modeste ménage ; dans Maître Guérin (1864), enfin, qui, malgré son sublime colonel, est peut-être l’œuvre la plus forte de l’auteur par le dessin des caractères : ce faux bonhomme de notaire, qui tourne la loi et qui

  1. Ajoutez Mme Caverlet (1875) : la question du divorce.