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la comédie.

dissolvent la famille en autorisant ou excusant l’inconduite de l’homme ; il attaque l’éducation qui ne prépare pas plus l’homme que la femme à son devoir domestique ; il attaque les préjugés qui, dans l’estimation des fautes, accablent l’ignorance et n’absolvent pas le repentir ; il attaque les lois qui, avec la femme, sacrifient l’enfant à l’égoïsme, au vice de l’homme.

Cette prédication sévère s’est exercée dans des pièces brillantes, contre la séduction desquelles il est difficile de se mettre en garde. Une construction très solide, qui fait ressortir la thèse, qui dresse les situations comme des arguments et nécessite le dénouement par une pressante logique, un dialogue éclatant d’esprit, trop ingénieux parfois et trop pétillant, mais d’une singulière précision dramatique, d’incroyables tours d’adresse pour éviter les difficultés en paraissant les aborder de front, autant de romanesque qu’il en faut pour amorcer ou désarmer le public, des brutalités voulues et mesurées, et, par un contraste piquant, les plus rigides conclusions préparées par les plus scabreuses situations ; au milieu de tout cela, des coins de scènes qui donnent la sensation immédiate de la vie, des parties de caractères, qui éclairent fortement certaines profondeurs de l’âme contemporaine : voilà l’impression mêlée et puissante que donnent les comédies de M. Dumas.

Le danger du genre qu’il a créé, et dans lequel nul jusqu’ici n’a pu le suivre, c’est que la thèse ne détruise le drame. Parfois, en dépit du très habile emploi de tous les ressorts dramatiques, on croit n’avoir pas devant soi une image de la vie : l’abstraction l’emporte, et la pièce s’écoute, en dépit des acteurs, comme un dialogue moral ; l’accent de l’auteur domine dans toutes les voix des personnages. Il y a quelques œuvres surtout, où les caractères semblent vidés de toute réalité, à l’état de purs symboles : toute la Femme de Claude, et le principal rôle de l’Étrangère nous laissent l’impression de dessins apocalyptiques sous lesquels il ne faut chercher que des idées. Dans beaucoup de personnages, le symbole s’efface par la substantielle réalité de l’imitation, qui parfois est très délicatement et minutieusement poussée : il s’efface, mais il subsiste. Et je n’en veux pour preuve que le jugement porté par l’auteur sur les actes de ses personnages : il s’en faut que nous en estimions comme lui la valeur morale ; l’écart est précisément d’autant plus grand que nous les prenons davantage comme individus réels, astreints aux infirmités, aux incertitudes, aux délicatesses des réelles consciences. Pour l’auteur, ils sont des symboles, purs représentants de l’absolu ; reprochera-t-on à des symboles d’être arrogants, indiscrets, brouillons, brutaux ?

La dernière œuvre de M. Dumas atteste la souplesse toujours