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le roman.

mis dans ses romans des silhouettes exotiques, qui sont amusantes et paraissent exactes. Mais surtout il a eu le don de la causerie philosophique : il excelle à faire dialoguer sur les questions actuelles de sociologie ou de science des personnages légèrement caractérisés et spirituellement excentriques[1]. Toutes les parties de ses romans qui ne sont ou peuvent n’être que des contes à la Voltaire, sont charmantes : quel malheur qu’il ne s’en soit pas tenu là !

Deux romanciers qui ont circonscrit leur observation, sont arrivés à rendre supérieurement certains milieux particuliers, avec les espèces morales qui s’y développent : M. Ferdinand Fabre[2] a fait quelques tableaux remarquables de la dévotion rustique et populaire dans les Cévennes méridionales, mais surtout de vigoureuses études des caractères ecclésiastiques, des formes très spéciales que l’Église impose aux passions, aux convoitises, aux haines des hommes ; M. Émile Pouvillon[3], esprit délicat et pénétrant, peint des paysans languedociens et gascons avec un très fin sentiment des harmonies de l’homme et du sol.

Les trois œuvres les plus considérables que nous rencontrions, dans ces vingt dernières années, à côté du naturalisme, sont celles de MM. France, Bourget et Loti.

M. Anatole France[4] a fait passer, semble-t-il, dans le roman l’influence de Renan. Avec un dilettantisme plus apparent que réel, mêlant de façon originale la sympathie et l’ironie, il conte des légendes religieuses, les miracles du mysticisme ou de l’ascétisme ; d’autres fois, il nous promène à travers le monde moderne, prenant plaisir à nous détailler les plus excentriques ou immorales combinaisons de la sensualité et de l’intelligence, du positivisme et de l’esthétisme dans les âmes contemporaines. Le jeu raffiné de l’esprit autour de la foi et de la morale évangéliques, ce goût intellectuel pour la simplicité du cœur qui n’est encore qu’une perversion de plus dans nos incohérentes natures, ont trouvé en M. A. France le plus curieux, le plus séduit, et le plus impitoyable pourtant des historiens. Amateur de curiosités philosophiques, érudit, bibliophile, il se promène de l’alexandrinisme au xviiie siècle, de la Thébaïde à la rue Saint-Jacques, de Paris à Florence, mettant dans tous ses romans ses goûts de fureteur et de chartiste, son

  1. Cf. la Bête, 1887, et la Vocation du comte Ghislain, 1888 (le personnage humoristique d’Eusèbe Furette).
  2. M. Ferdinand Fabre (né en 1830 à Bédarieux) : l’abbé Tigrane (1873), Dentu, in-18 ; Barnabé (1875) ; Mon oncle Célestin (1881) ; Ma vocation (1889).
  3. M. Émile Pouvillon (né en 1840 à Montauban) : l’Innocent (1884), Jean-de-Jeanne (1886), les Antibel (1892).
  4. M. A. France (né en 1844) ; le Crime de Sylvestre Bonnard (1881) ; le Livre de mon ami (1885) ; Thaïs (1890) ; la Rôtisserie de la reine Pédauque (1893) ; le Lys rouge (1894). Histoire contemporaine (l’Orme du Mail, etc.), 4 vol. (1897-1900).