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poésie lyrique.

définitives, philosophique dans Descartes et poétique dans Corneille, qui en feront saillir un élément de vérité. Elle ne sera délogée et reléguée entre les conventions surannées que par Racine, qui retrouvera l’amour douloureux, l’antique désir, enveloppé et compliqué de tout ce que quinze ou vingt siècles ont ajouté au fond naturel de l’homme.

Nos hommes du Nord, quand ils connurent la poésie provençale, furent étonnés, éblouis, charmés : fond et forme, tout était pour eux une révélation. La communication ne se fit pas d’abord, comme on pouvait s’y attendre, par les provinces du centre. Elle se fit par l’Orient ; ce fut en Terre Sainte à la croisade, que la Flandre et la Provence, la Lorraine et le Languedoc se rencontrèrent. Ainsi s’explique que les premiers protecteurs et les premiers imitateurs que la poésie méridionale obtint en deçà de la Loire, soient du Nord et de l’Est. Avec Aliénor d’Aquitaine, qui fut mariée successivement aux rois de France et d’Angleterre, les troubadours et leur art envahirent les provinces de langue française : quand les deux filles d’Aliénor et de Louis VII eurent épousé les comtes de Champagne et de Blois, Reims et Blois, avec Paris, devinrent des centres de poésie courtoise. Dans les dernières années du xiie siècle, et le commencement du xiiie, l’imitation des Provençaux fleurit : c’est le temps de Conon de Béthune, de Blondel de Nesles, de Gace Brûlé, du Châtelain de Coucy, de Thibaut de Navarre [1]. Cependant, après un siècle de vogue à peu près, le lyrisme savant décline ; nos barons se refroidissent et le délaissent ; mais, comme il était arrivé pour l’épopée, les bourgeois

  1. Biographie : Conon de Béthune prit part à deux croisades, en 1189 et en 1199. Dans cette dernière, il fut un des diplomates et des orateurs de l’armée, avec Villehardouin, qui en parle avec estime. Il mourut en 1224. – Blondel de Nesles vécut dans la fin du xiie siècle : on ne sait rien de sa vie. – Gace Brûlé, chevalier champenois, commença à écrire dans les vingt dernières du xiie siècle. Il alla dans sa jeunesse (avant 1186) en Bretagne : c’est là qu’il fit la jolie chanson : les Oisillons de mon pays – ai ois en Bretagne. Il mourut après 1220. – Le Châtelain de Coucy paraît avoir été Gui II, mort en 1201, qui prit part aussi à la quatrième croisade. L’histoire de ses amours avec la dame de Fayel est toute romanesque. – Thibaut IV, comte de Champagne et roi de Navarre (1201-1253), prit part à la croisade contre les Albigeois et à la révolte des grands vassaux contre la régente Blanche de Castille. La tradition qui le fait amoureux de cette reine ne repose sur aucune donnée sérieuse. – Éditions : Dinaux, Trouvères, jongleurs et ménestrels du nord de la France et du midi de la Belgique, Valenciennes et Paris, 1837 – 63, 4 vol. in-8, Scheler, Trouvères belges, Bruxelles, 1876-1879, 2 vol. in-8 ; Tarbé, les Chansonniers de Champagne, Reims, 1850, in-8. Chansons de Thibaut IV, Reims, 1851, in-8 ; les Œuvres de Blondel de Nesles, Reims, 1862, in-8 ; Fath, Die lieder des Castellan von Coucy, Heidelberg, 1883, in-8 ; A. Wallenskold, éd. De Conon de Béthune, Helsingfors, 1891, J. Brakelmann, Les plus anciens chansonniers français, Paris, 1891. – À consulter : Hist. Litt. De la Fr., t. XXIII. A. Jeanroy, De nostratibus medii ævi poetis qui primum lyrica Aquitaniæ carmina imitati sint., Hachette, 1890.