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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/1140

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le fin du siècle.

saient : chose énorme en France. Et ainsi il barrait la route aux nouveautés, plus que tous les vaudevillistes ensemble et directeurs de théâtre.

Le genre de la critique subit actuellement une crise grave. M. Brunetîère a disparu, M. Lemaître s’est détourné. Avec Sarcey, un âge du feuilleton dramatique a pris fin. Presque partout dans les journaux le reportage a remplacé la critique. On rend compte des pièces de théâtre le lendemain de leur première représentation[1] : on se réduit forcément à l’analyse hâtive, on encense amicalement, ou l’on assomme curieusement auteurs et acteurs. L’étude réfléchie, approfondie, curieuse des pièces et de l’interprétation n’est plus possible. La critique des livres, elle aussi, a fait place à l’annonce, à la réclame, aux interviews : on aime à faire causer l’auteur sur son œuvre. Même les Revues sont de moins en moins hospitalières à la critique littéraire : une grande revue s’est fondée (1894) en excluant de parti pris l’examen périodique des ouvrages nouveaux. Journaux et revues suivent le goût du public : les études d’esthétique, les discussions de doctrines ne le divertissent guère ; il veut des biographies, de l’histoire, des faits[2].

Et d’autre part la critique n’est pas moins menacée par l’orientation actuelle des études littéraires[3]. Il y a dans la critique une part d’arbitraire, de subjectivité, de préférence sentimentale ou de logique a priori, qui en détourne les esprits dressés à la discipline des sciences historiques et philologiques. On en applique les méthodes exactes à l’étude du développement et des chefs d’œuvre de la littérature ; et tandis que la critique languit, l’histoire littéraire se fait ; de ce côté, l’activité est grande, et les résultats excellents. Il semble bien que, prise ainsi entre le journalisme et l’histoire, la brillante critique d’autrefois ait peine à subsister comme genre : si elle n’était plus permise qu’aux esprits exceptionnels qui nous intéressent plus à eux-mêmes qu’à ce dont ils parlent, on n’aurait pas à regretter ce changement.


3. LE ROMAN.


Le roman est stationnaire. Il n’y a plus d’école, ce qui n’est pas un mal : chacun va à son idéal, selon sa nature, par ses procédés, et change parfois d’idéal ou de procédés sous des pressions exté-

  1. Les Débats et Le Temps maintiennent à peu près seuls la tradition du compte rendu hebdomadaire.
  2. Cependant une réaction semble prochaine, au moins dans les Revues (11e éd.).
  3. Cf. G. Lanson, Revue de synthèse, 1re année, no 1. G. Renard, la Méthode scientifique de l’histoire littéraire, 1900.