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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/12

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viii
avant-propos

chacun peut répéter et qui fournissent à tous des résultats invariables, mais par l’application de facultés qui, variables d’homme à homme, fournissent des résultats nécessairement relatifs et incertains. Ni l’objet, ni les moyens de la connaissance littéraire ne sont, dans la rigueur du mot, scientifiques.

En littérature, comme en art, on ne peut perdre de vue les œuvres, infiniment et indéfiniment réceptives et dont jamais personne ne peut affirmer avoir épuisé le contenu ni fixé la formule. C’est dire que la littérature n’est pas objet de savoir : elle est exercice, goût, plaisir. On ne la sait pas, on ne l’apprend pas : on la pratique, on la cultive, on l’aime. Le mot le plus vrai qu’on ait dit sur elle, est celui de Descartes : la lecture des bons livres est comme une conversation qu’on aurait avec les plus honnêtes gens des siècles passés, et une conversation où ils ne nous livreraient que le meilleur de leurs pensées.

Les mathématiciens, comme j’en connais, que les lettres amusent, et qui vont au théâtre ou prennent un livre pour se récréer, sont plus dans le vrai que ces littérateurs, comme j’en connais aussi, qui ne lisent pas, mais dépouillent, et croient faire assez de convertir en fiches tout l’imprimé dont ils s’emparent. La littérature est destinée à nous fournir un plaisir, mais un plaisir intellectuel, attaché au jeu de nos facultés intellectuelles, et dont ces facultés sortent fortifiées, assouplies, enrichies. Et ainsi la littérature est un instrument de culture intérieure : voilà son véritable office.

Elle à cette excellence supérieure, qu’elle habitue à prendre plaisir aux idées. Elle fait que l’homme trouve dans un exercice de sa pensée, à la fois sa joie, son repos, son renouvellement. Elle délasse des besognes professionnelles, et elle élève l’esprit au-dessus des savoirs, des intérêts, des préjugés professionnels ; elle « humanise » les spécialistes. Plus que jamais, en ce temps-ci, la trempe philosophique et nécessaire aux esprits : mais les études techniques des