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les fabliaux.

Decize, Avranches, Anvers et Cologne : mais la scène le plus souvent est située quelque part entre Orléans, Rouen, Arras et Troyes, en pleine terre française, champenoise et picarde, dans toutes ces bonnes villes et villages où l’homme ne peut ni se passer de la société de son voisin, ni s’abstenir d’en médire, où, tout aux soucis et aux joies de la vie matérielle, pourvu qu’il ait de bons écus dans sa bourse et de bon vin dans sa cave, l’esprit libre et la langue alerte, il se moque allègrement du reste, qu’il ignore. C’est là la terre classique du Fabliau, et c’est là qu’en tout temps fleurissent les contes salés, propos grivois, impertinentes satires, sur les maris, les femmes et les curés.

Voilà essentiellement, en effet, le trio d’acteurs qui occupe la scène dans les fabliaux : parfois isolés, parfois groupés deux à deux, le plus souvent réunis dans une intrigue qui les heurte l’un à l’autre. Ici l’on verra le prêtre seul, dans une posture ridicule, où l’a mis sa gourmandise quand il a voulu manger les mûres ; là le prêtre, avec le vilain ou avec le chevalier, toujours dupé ou volé, perdant sa vache ou son mouton. Ailleurs prêtre contre prêtre, à qui dupera l’autre : plus avare sera le moine, ou l’évêque, plus rusé le simple curé, investi pour les circonstances du caractère sympathique. Ailleurs le vilain et sa femme, parfois le chevalier et sa femme : entre eux c’est l’éternelle question, qui portera la culotte ? et ce sont les poings qui décident. Dans les querelles du ménage, le bec ne combat pas seul, et, du reste, ne combat pas moins.

Mais l’histoire typique qui fonde la moitié des fabliaux, réunit les trois acteurs, le vilain, bourgeois ou (rarement) chevalier, le clerc, écolier, sacristain ou curé, la femme, toujours alliée de qui la flatte contre qui lui commande. L’histoire ne serait pas complète, en général, si les coups ne s’en mêlaient. Une fois il arrivera que le mari et la femme seront d’accord : l’une se charge de voler, et l’autre de rosser.

Quelques thèmes plus rares et moins grossiers, au moins extérieurement, sont des histoires d’amour, mêlées ou non de merveilleux, qui font comme la transition entre les lais de Marie de France et les fabliaux bourgeois. Plus fréquentes sont les farces de provinciaux goguenards, toute espèce de bons tours et d’aventures comiques, toute sorte de bons mots, de calembours et de reparties qui ont paru drôles.

À part quelques contes assez décents, comme le Vilain Mire, qui est purement comique, ou la Housse partie, qui donne à la faiblesse des parents une sage instruction, la même qu’on dégagerait du roi Lear ou du Père Goriot ; à part encore certain exemple de vertu féminine qui nous est offert dans la Bourse pleine de sens, la moralité ou, si ce mot paraît impropre ici, la conception de la