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littérature dramatique.

quand Charles VII fait son entrée solennelle à Paris en 1437, de la porte de la ville, par la rue Saint-Denis, jusqu’au pont du Châtelet, s’échelonnent de place en place diverses scènes de l’Évangile, Passion, Résurrection, Annonciation, etc., sans parler de saint Denis qui naturellement reçoit le roi à la porte Saint-Denis, entouré de saint Louis, saint Thomas, saint.Maurice et sainte Geneviève. C’était là des « jeux de mystère ».

Ce fut vers 1450 que ce nom passa aux représentations dramatiques. Ces mystères[1] sont la postérité lointaine du drame liturgique : ils retiennent de leur origine ce caractère, que les sujets en sont toujours, ou à peu près, religieux. Ils forment comme une sorte d’illustration populaire où toute la suite de l’histoire religieuse est figurée et découpée en scènes. Toutes les sources sont mises à contribution, sans critique, avec un égal respect, et un non moins égal sans-gêne : Bible, Évangiles canoniques, Évangiles apocryphes, actes de martyrs, vies de saints ; c’est un vaste et confus ensemble qui va de la création jusqu’à saint Dominique et saint Louis. Parmi tous les mystères indépendants où un événement particulier, une destinée individuelle sont exposés, trois compositions d’un caractère plus général se détachent : le Mystère du Vieil Testament, qui, en près de 50 000 vers, nous mène du Paradis terrestre jusqu’au temps d’Auguste ; le Mystère de la Passion, qui, en près de 35 000 vers dans l’œuvre de Gréban. embrasse tous les récits des Évangiles, et le Mystère des Actes des Apôtres, qui, en plus de 60 000 vers, expose la diffusion de la religion nouvelle et le martyre des premiers serviteurs du Christ.

La tendance cyclique de ces trois œuvres est manifeste. D’abord ces trois mystères s’enchaînent et se font suite. La Passion sert de centre : rédigée par Arnoul Gréban avant 1452, elle s’est complétée par les Actes des Apôtres, que le même Gréban, avec l’aide de son frère Simon, a mis en drame. Enfin, comme il est arrivé dans les épopées cycliques, où l’on a remonté les temps en passant des fils aux pères, le drame de la nouvelle loi a suscité le drame de l’ancienne loi : on pense que le Mystère du Vieil Testament s’est organisé sous l’influence de la Passion de Gréban. Au reste

  1. Éditions : A. Jubinal, Mystères inédits. Paris, 1837, 2 vol. in-8 : ces mystères paraissent représenter le répertoire des Confrères de la Passion antérieur aux drames cycliques ; le Mystère du Vieil Testament, publ. par J. de Rothschild (Société des Anc. textes), Paris, 6 vol., 1878-1891 ; le Mystère de la Passion, d’Arras, éd. J.-M. Richard, 1893, gr. in-8 ; Gréban, le Mystère de la Passion, publ. par G. Paris et G. Raynaud, Paris, Vieweg. in-8, 1878 ; le Mystère du siège d’Orléans, publ. par Guessard et de Certain, Paris, Impr. Nat., 1862 ; Gringore, Vie de saint Louis, t. II des Œuvres (Bibl. elzév.), Paris, 1877.

    À consulter : Petit de Julleville. les Mystères, Paris, 2 vol. in-8 ; W. Creizenach Geschichte des neueren Dramas, Halle, in-8, 1893, t. I.