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renaissance et réforme avant 1535.

rencontrent chez maître Clément, et trahissent ses origines. Heureusement, si son éducation le rattachait aux Molinet et, aux Cretin, son tempérament le tournait vers les Jean de Meung, les Villon, les Coquillart : il porta dans la poésie aristocratique les meilleurs dons de la poésie bourgeoise.

Mais il s’imprégna aussi d’une culture nouvelle et plus fine. Il avait parmi les livres qu’on saisit en 1534 un Boccace, la Célestine, les Églogues de Virgile. À Boccace il faut joindre Pétrarque ; à Virgile, Ovide, Catulle, dont il fit quelques « translations ». À peine italianisé, il était surtout latinisé. Cela ressort aussi de l’examen de ses œuvres : on y trouve des ballades, des chants royaux, des rondeaux, des chansons, des poèmes allégoriques, genres du moyen âge ; le coq-à-l’àne qu’il invente procède des fatrasies, qui sont du moyen âge aussi. À l’Italie, Marot tient par quelques sonnets. L’élégie, l’églogue, l’épitre, l’épigramme sont des genres antiques.

Cependant Marot n’est point un homme d’étude et de cabinet. Ce n’est point par la lecture et la méditation intime que la Renaissance s’insinua en lui : elle l’enveloppa par le dehors, et l’imprégna. Nul n’a plus subi l’influence de son milieu. Poète de cour, il refléta l’esprit et les besoins de la cour, hors de laquelle il ne pouvait vivre en joie. Il clarifia, affina, allégea le vieil esprit de Renart et de Rutebeuf ; il l’enrichit de finesse, de mesure, de grâce, pour le mettre d’accord avec la forme nouvelle des âmes, et même avec l’aspect des choses. Cette vie de cour essayée par Anne de Bretagne, splendidement développée par François Ier, cette perpétuelle conversation des hommes et des femmes les plus illustres dans les maisons du roi, rendaient impossibles la lourdeur, le pédantisme, la prolixité, la platitude d’autrefois. Pour se faire lire de ces seigneurs et de ces dames qu’entouraient toutes les élégances et que tous les plaisirs sollicitaient, il fallait être bref, pour ne pas ennuyer ; clair, pour ne pas fatiguer ; spirituel, pour divertir. Pour un public léger, égoïste, il ne fallait pas trop de sérieux ni de douleurs : railler et rire, c’était le mieux. Tout cela, Marot le fit en perfection.

Sa nature ne le poussait pas à sortir des sujets et du ton qui plaisaient à son public. Il n’était ni un sentimental, ni un passionné. Sans doute l’on trouverait sans peine dans son œuvre des saillies de sensibilité : elles ne prouvent rien. Il n’est pas étonnant qu’un homme qui souffre et qui craint, crie, vibre sous la pression du fait présent. Littérairement, le sentiment n’est caractéristique qu’à condition d’être, d’abord, une disposition habituelle de l’ame et comme le verre à travers lequel elle regarde les choses, en second lieu, un plaisir de l’âme, qui savoure l’amertume. Chez Marot, le sentiment est purement de circonstance ; il n’a place