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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/289

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jean calvin.

çaise est vraiment une forte et grande chose : il y a une gravité soutenue de ton, un enchaînement sévère de raisonnements, une véhémence de logique, une phrase déjà ample, des expressions concises, vigoureuses et, si j’ose dire, entrantes, qui en plus d’un endroit font penser à Bossuet : à Bossuet logicien, je le veux, et non pas à Bossuet poète, mais enfin à Bossuet. Et quiconque est familier avec ces deux écrivains ne me démentira pas.

C’est pourtant Bossuet qui a dit : « Calvin a le style triste ». Et littérairement Calvin est toujours sous le coup de cette condamnation. Je ne serai pas suspect si j’adoucis l’arrêt. Calvin n’est pas poète : et l’on conçoit que le Bourguignon d’imagination chaude, de sensibilité vibrante, n’aime guère ce Picard au parler froid et précis, en qui la passion a plus de rigueur que de flamme. Mais Calvin est moins « triste » que Bourdaloue. Son raisonnement marche d’une allure plus aisée. Et surtout il a l’inestimable don du xvie siècle, la jeunesse : cela étonne ; j’entends par là la fraîcheur d’une pensée toute proche encore de la vie et chargée de réalité.

La chose se voit moins dans l’Institution, où le style a retenu de la hauteur et de la noblesse de la phrase latine. Les autres œuvres françaises, d’un tour moins oratoire, représentent plus au naturel peut-être le vrai génie de Calvin. Qu’on lise ses Commentaires des Épitres de saint Paul, on sera surpris, à travers tant de gravité dogmatique, de rencontrer un parler si familier, tant de rappels à la réalité commune, métaphores, comparaisons, apologues. Nulle éloquence, nulle poésie dans tout cela, mais à chaque instant apparaissent des signes du voisinage de la vie, et cela suffit à dissiper la tristesse des déductions les plus tendues.

Dans l’histoire de l’éloquence de la chaire, Calvin [1] et ses premiers collaborateurs, Viret, Bèze, ont un grand rôle. Outre que l’activité de la prédication protestante (on possède plus de 2000 sermons de Calvin pour une période de onze ans) a contribué sans nul doute à assouplir la langue, cette prédication est un des anneaux qui relient François de Sales et l’éloquence du xviie siècle aux sermonnaires du xve siècle. Ces prédicateurs protestants, et non seulement Viret, mais Calvin même qu’on croit si austère, sont tout près de Menot et de Raulin, ils y touchent non par le temps seulement, mais par le goût.

Calvin n’emploie-t-il pas quelque part 8 ou 9 pages [2] à comparer

  1. Calvin improvise : la plupart de ses sermons ont été recueillis par des auditeurs. Un petit nombre ont été écrits et publiés par lui. Les explications dogmatiques et interprétations de l’Écriture tiennent une grande place chez lui, ainsi que la controverse : mais la morale est toujours le but et la conséquence.
  2. Dans ses Commentaires sur l’Épitre de Saint Paul aux Ephésiens. On peut prendre aussi, parmi les sermons recueillis, au tome XLVI, les 65 sermons sur l’Har-