Aller au contenu

Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/301

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
279
les théories de la pléiade.

accents tout nouveaux, ils font des lettres une partie de l’honneur national et comme une province de la patrie.

Contre les ignorants, ils maintiennent la nécessité de l’étude, de l’art, du travail ; que la nature toute seule ne fait pas des chefs-d’œuvre, et que les anciens seuls nous enseignent la façon des chefs-d’œuvre. Mais, non plus que Boileau, ils ne donnent pas tout à la science et au travail : ils exigeaient le don, le génie. « Tous ceux, disait Ronsard, tous ceux qui écrivent en carmes, tant doctes puissent-ils être, ne sont pas poètes », et il n’admettait à l’œuvre divine de la poésie que les hommes « sacrés dès leur naissance et dédiés à ce ministère ». À eux seulement s’adressent les leçons, dont voici la substance.

« Laisse, dit Du Bellay, toutes ces vieilles poésies françoises aux Jeux Floraux de Toulouse et au puy de Rouen, comme Rondeaux, Ballades, Virelais, Chants royaux, Chansons, et autres telles épiceries… — Jette-toi à ces plaisants épigrammes,… à l’imitation d’un Martial… Distille… ces pitoyables élégies, à l’exemple d’un Ovide, d’un Tibulle et d’un Properce… — Chante-moi ces odes inconnues encore de la muse françoise, d’un luth bien accordé au son de la lyre grecque et romaine. » On pourra faire des épitres, élégiaques comme Ovide, ou morales comme Horace ; des satires, à la façon d’Horace. On fera des sonnets, selon « Pétrarque et quelques modernes Italiens » ; de « plaisantes églogues, rustiques à l’exemple de Théocrite et de Virgile, marines à l’exemple de Sannazar, gentilhomme napolitain » ; de coulants et mignards hendécasyllabes, à l’exemple d’un Catulle, d’un Pontan et d’un Second ; des comédies et tragédies, dont on sait bien où sont les « archétypes ». A Ronsard, orné de toutes « grâces et perfections », appartiendra d’imiter Homère, Virgile, Arioste, et de donner à la France une épopée. Partout, on le voit, les Italiens sont mis sur le même pied que les anciens : tant il est vrai, comme on ne le redira jamais trop, que l’Italianisme a été le principe et la condition de notre Renaissance. Au reste, c’est une substitution générale des genres anciens et italiens aux genres du xve siècle que la Pléiade a tentée et opérée en effet. Mais cela, en soi, était excellent : à la place de formes étroites, maigres et compliquées, telles que la Ballade et le Chant royal, les formes antiques, larges, simples, réceptives, si je puis dire, mettaient l’inspiration à l’aise, et se prêtaient à revêtir une beauté bien supérieure. Même le sonnet était infiniment au-dessus du rondeau, dépouillé de la gentillesse puérile du refrain, tour à tour ample, ou mâle, ou tendre, ou passionné, et selon le mot de Burckhardt, précieux condensateur de l’émotion lyrique.

Les anciens ne pouvaient donner à Ronsard les modèles de sa versification : ici, bon gré mal gré, il devait suivre et continuer ses