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poésie érudite et artistique.

de « vocables non vulgaires ». Ronsard, plus hardi, plus novateur, compte surtout, lui aussi, sur les ressources propres du français : c’est de lui-même qu’il tirera les richesses qu’il lui apportera. D’abord il conseille de « remettre en usage les antiques vocables ». Qui ferait « un lexicon des vieux mots d’Artus, Lancelot et Gauvain », ferait œuvre de « bon bourgeois », œuvre patriotique et utile. On choisirait de ces vieux mots les plus « prégnants et significatifs » pour servir à la poésie.

4° On ne craindrait pas de mêler au langage courtisan les meilleurs mots de tous dialectes et patois français, « principalement ceux du langage wallon et picard, lequel nous reste par tant de siècles l’exemple naïf de la langue française ». Cela ne vaut-il pas le gascon de Montaigne ? Et l’histoire de la langue ne nous fait-elle pas voir dans de nombreux cas cette pénétration de notre pur français par les dialectes de langue d’oïl qu’il a supplantés et relégués au fond des champs ?

5° Légitime aussi est l’emploi des termes techniques et de métiers : et de hanter « toutes sortes d’ouvriers et gens mécaniques », c’est pour le poète un excellent moyen d’élargir le vocabulaire littéraire.

6° Plus originale, plus audacieuse est la méthode si fort préconisée par Ronsard : le provignement des mots : « Si les vieux mots abolis par l’usage ont laissé quelque rejeton, tu le pourras provigner, amender et cultiver, afin qu’il se repeuple de nouveau. » Ainsi de lobbe, on tirera lobber, de verve, verver, d’essoine, essoiner. On voit que le provignement de Ronsard n’est que l’imitation réfléchie de révolution spontanée du langage ; si d’impression sont sortis impressionner, impressionnable, impressionnabilité, n’est-ce pas un provignement opéré par l’instinct naturel du peuple ? Et c’est là, avec nos procédés de composition, le principal moyen de développement du français moderne.

On le voit, le système de Ronsard n’a rien en soi de très déraisonnable, ni de très contraire au génie de la langue. Son grand tort est d’être un système : mais, je le répète, ne le fallait-il pas alors ? Ronsard a très bien reconnu deux choses : 1° qu’il fallait innover avec prudence et choix ; 2° qu’à l’usage seul appartiendrait d’autoriser les innovations, et d’en faire des acquisitions définitives de la langue. Il ne donne en somme au poète qu’un droit de proposition. Ce n’est pas un brouillon, c’est un poète qui a l’idée, le sens de la forme : il a travaillé la langue, comme il a travaillé le vers, et il travaillera la phrase. C’est qu’alors il n’y a pas seulement faute de façon en notre langue : quand il commence d’écrire, dix ans avant les Vies d’Amyot, il y a vraiment encore un peu faute d’étoffe.