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poésie érudite et artistique.

Faute de cette idée directrice, il hésite, il s’embrouille, il patauge, il s’égare. Il n’arrive pas plus que Du Bellay à définir nettement ce qu’est le renouvellement des thèmes d’inspiration qu’il tente : la Pléiade n’a fait rien moins que de placer dans le sentiment la source de la poésie, qui jusque-là était placée dans l’esprit. Ce que Villon seul avait fait en deux ou trois endroits, d’exprimer les plus intimes réactions de l’individualité au contact de la vie, de mettre par conséquent une sincérité sérieuse au fond de l’œuvre poétique, Ronsard et son école en firent la loi et comme l’essence de la poésie moderne. Par eux elle fut apte à devenir, selon la belle formule que M. Brunetière a donnée du lyrisme, la réfraction de l’univers à travers un tempérament.

Mais ici Ronsard n’a pas eu une nette conscience de l’œuvre à laquelle il travaillait. Toutes ses formules sont vagues ou fausses. Il demande « une naïve et naturelle poésie ». En bon classique, il préfère la vraisemblance à la vérité, c’est-à-dire la vérité générale à la vérité particulière, les êtres normaux aux monstres accidentels. Mais quand il veut s’expliquer, il ordonne au poète « d’imiter, inventer ou représenter les choses qui sont ou qui peuvent être » : voilà qui va bien, mais il ajoute : « ou que les anciens ont estimées comme véritables ». Et cela gâte tout. Car bien qu’il n’ajoute cela que pour justifier l’emploi de la mythologie, je sens là une erreur générale : Ronsard pose les anciens à côté de la nature, non comme offrant déjà la nature, mais comme égaux à la nature dans les choses même où nous n’y trouvons ni raison ni vérité, où leur nature enfin n’est pas la nôtre. Et du coup la sincérité de la poésie reçoit une grave atteinte.

De là vient cette stupéfiante Préface de la Franciade, où, précisant le retentissant appel de Du Bellay, il enseigne à faire le pillage méthodique des trésors de l’antiquité, à mettre les Grecs et les Romains en coupe réglée ; où l’imitation se fait un décalque servile, matériel, irraisonné ; où sans plus regarder la nature, sans entrer non plus en contact avec l’âme des anciens, on leur arrache ce qu’ils ont d’extérieur, de relatif, de local. La poésie devient comme un magasin de bric-à-brac gréco-romain, où sont entassés pêle-mêle toute sorte d’oripeaux et d’accessoires : et il est étrange que Ronsard, qui avait le bon goût d’aimer « la naïve facilité d’Homère », n’ait pas vu que le meilleur moyen de ne pas ressembler à Homère était précisément, pour un homme du xvie siècle… de s’habiller, de parler, de marcher comme le lointain aède des temps héroïques. Cependant, ici encore, il n’y a que demi-mal, si la force du tempérament est capable de soulever ou d’écarter la masse énorme des réminiscences. C’est ce qu’il nous faut maintenant demander aux œuvres de la Pléiade.