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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/310

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poésie érudite et artistique.

Cela me dispensera de m’attarder à la Franciade, qui est une erreur totale. Erreur de forme d’abord, chose grave en art : le choix du décasyllabe au lieu de l’alexandrin, où Ronsard trouva trop de caquet, tout en l’estimant aussi trop énervé et flasque, ce choix malheureux était un véritable recul, qui ramenait l’art au moyen âge.

Mais de plus Ronsard s’est trompé sur la définition du genre : il a pris l’épopée pour un roman. Il s’est trompé sur les conditions du genre : il a cru que l’épopée était une plante de tous climats et de toute saison. Il s’est trompé sur le choix d’un sujet : il a cru le prendre éloigné de la mémoire des hommes, et pourtant populaire ; ce n’était qu’une légende de clercs et de lettrés, ancienne il est vrai, et qui s’était perpétuée de Frédégaire à Jean Lemaire et Jean Bouchet. Ce Francus fils d’Hector, et fondateur de la monarchie franque, était une pâle figure, un thème d’inspiration bien vide, où nul afflux de tradition populaire ne mettait la vie ; le Tasse, et même le Père Lemoyne, même Chapelain ont bien mieux choisi. Cependant Ronsard pouvait encore faire quelque chose de son sujet, s’il y avait versé les sentiments généraux de cette nation qui depuis un siècle et demi commençait à prendre conscience d’elle-même, s’il avait su imiter la « curieuse diligence » de Virgile, et jeté toute la France, ses souvenirs, son âme et son génie dans ce mythe érudit.

Mais il se trompa sur les moyens : il ne fit pas une œuvre française ; il ne fut occupé qu’à coudre des lambeaux d’Homère et de Virgile, et n’échappa aux laborieuses froideurs des réminiscences que par la froideur plus laborieuse encore de la poésie de commande, dans ses notices officielles et insipides sur les prédécesseurs de Charles IX.

On a regretté parfois les erreurs de Ronsard dans la conception et l’exécution de sa Franciade : on a pensé que s’il les avait évitées, il eût pu faire une belle œuvre, et l’on allègue des fragments épiques, tels que le Discours de l’équité des vieux Gaulois. Il serait plus juste de dire que Ronsard n’a pas pu éviter ces erreurs, parce qu’il n’avait à aucun degré le sens épique. Le Discours de l’équité des vieux Gaulois en est lui-même la preuve. Il m’est impossible d’y voir autre chose que de l’éloquence en vers, de l’éloquence cherchée sur un thème quelconque, c’est-à-dire de la forte rhétorique : du Lucain ou du Claudien en français.

Le génie de Ronsard est tout lyrique. Aussi est-ce par le lyrisme qu’il a conquis ses contemporains ; et même devant la postérité, son échec n’a été que relatif, en dépit de l’absurde application qu’il a faite parfois de ses théories. Car si les principes généraux du système n’ont rien en eux-mêmes de trop choquant, Ronsard