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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/314

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poésie érudite et artistique.

et cinquième vers, et sept aux autres [1], la forme aussi destinée à un si bel avenir, qui consiste à faire le troisième et le sixième vers sensiblement plus courts que les autres [2]. Certains entrelacements de rimes dans les strophes de cinq vers ont été fournis aussi par Marot. Le huitain de Villon et de Charles d’Orléans, le dizain de M. Scève, très en vogue depuis Deschamps, se retrouvent aussi chez Ronsard : même le quatrain qu’il appelle strophe saphique est dans les Psaumes de Marot, et par le principe de la succession des rimes (aaab — bbbc, etc.) nous ramène en plein moyen âge, jusqu’à Rutebeuf.

Mais Ronsard a singulièrement enrichi l’art de ses prédécesseurs : chacune de ses quinze odes pindariques est construite sur un type particulier [3] et dans le reste des odes, le nombre des vers dans la strophe, le nombre des syllabes dans le vers, le mélange des vers, et la succession des rimes forment plus de soixante combinaisons. Il a tenté les vers de 9 syllabes ; il a fréquemment usé du vers de 7. Il a très heureusement indiqué l’alexandrin comme mètre lyrique, et non pas seulement narratif : il l’a essayé aussi dans des combinaisons destinées à survivre. Marot, dans ses Psaumes, ne dépassait guère la strophe de 7 vers : celle de 5, et plus souvent celles de 4 et de 6, étaient les plus ordinaires chez lui : Ronsard y ajoute les strophes de 4, 10 et 12 vers dont il met en lumière la puissance expressive, en les dégageant des étroites contraintes où la ballade les tenait assujetties [4].

Il a manié toutes ces formes avec un réel instinct du rythme :

  1. C’est le rythme de l’Avril de R. Belleau et celui de la pièce fameuse de Victor Hugo : Sarah, belle d’indolence.
  2. Si l’on donne 6 syllabes aux petits vers et 12 aux grands, on a l’ode III, 17 de Ronsard : c’est la forme de la pièce de Victor Hugo : Lorsque l’enfant parait….
  3. Ronsard emploie dans ses odes pindariques le vers de 6 syllabes (1 fois), celui de 8 (4 fois dans les strophes et antistrophes seulement), partout ailleurs le vers de 7. Les strophes et antistrophes ont de 10 à 20 vers, et les épodes de 8 à 19 ; les strophes de 12 vers et les épodes de 10 sont les plus nombreuses. Une seule pièce n’a ni antistrophe, ni épode ; la plupart ont de 1 à 5 strophes, antistrophes et épodes ; une seule en a 10 ; une, 24. Les rimes masculines alternent avec les féminines dans l’intérieur de chaque strophe : les exceptions, assez nombreuses en apparence, sont voulues systématiquement.
  4. Dans la strophe de 8 vers, la plus fréquente chez Ronsard, les rimes sont croisées ; a b a b c d c d. Dans la strophe de 10 vers, il use de rimes plates, ou de rimes croisées terminées par un distique en rimes plates. Dans la strophe de 12 vers, voici l’ordre des rimes : a b a b c c d d e f e g. Dans le quatrain, il fait quelquefois les vers impairs plus courts, ou le quatrième seulement court après trois plus longs ; dans la strophe de 8 vers, il donne 6 syllabes au 4e et au 8e vers, 12 aux autres. J’ai dit les deux combinaisons de mètres les plus heureuses qu’offre la strophe de 6 vers. Il fait alterner la strophe de 6 vers avec celle de 4, ou, inversement, celle de 12 vers avec celle de 8 : parfois il fait alterner quatre longs vers avec six vers courts, etc. – Voir Odes, V, 33, un curieux artifice dans l’agencement des rimes ; ou IV, 31 ; ou encore IV, 17.