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guerres civiles.

des collections des dissertations sur tous sujets d’érudition. Histoire et archéologie historique, origines de la monarchie, des institutions, de la langue, de la littérature, actualités historiques et littéraires, tout cela, plus ou moins négligemment classé et distribué, c’est la matière des Recherches et des Lettres.

Et c’est ce désordre même qui maintient l’érudition solide et parfois heureusement novatrice de Pasquier dans la littérature : car on s’y heurte à l’homme à chaque instant. Un certain goût, une certaine humeur, enfin une nature d’homme apparaît sans cesse, qui court à son plaisir, suit une curiosité personnelle dans la prise de telle matière, dans ce libre vagabondage à travers tout l’inexploré des sciences historiques et philologiques. Dans ces causeries d’un érudit, impossible de ne pas entendre l’accent de son tempérament, et de détacher la vérité impersonnelle d’une forme originale de l’esprit qui la présente. En un mot, ces livres, dont la matière déjà nous échappe à proprement parler, nous appartiennent au même titre que les Mémoires : pour l’homme voué à l’activité intellectuelle, ses curiosités, sa quête de la vérité, ses découvertes et ses inventions d’idées, ce sont ses ambitions, ses campagnes, ses victoires et son butin ; et quand il raconte, comme Pasquier ce qu’en soixante ans d’études il a appris, il fait aussi réellement les Mémoires de sa vie que le soldat qui raconte soixante années de guerres, comme Monluc.

Je dirais la même chose des savants dont les ouvrages sont comptés encore dans l’inventaire de la littérature du xvie siècle. C’est parce qu’ils fournissent la naïve expression d’un tempérament personnel, et, en lui, de l’universelle humanité, que Paré [1] et Palissy [2] peuvent encore avoir d’autres lecteurs que les historiens de la chirurgie ou des sciences physiques et naturelles. Habitués longtemps à ne chercher d’éminents exemplaires de notre humanité que parmi les ouvriers bruyants de l’histoire politique, ou les brillants héros de la vie mondaine, nous nous complaisons aujourd’hui à saisir dans des vies plus modestes et plus obscures l’âme des siècles lointains, si irréductible tout à la fois et si identique à la nôtre.

  1. Ambroise Paré (vers 1510-1590). — Éditions : Œuvres, édit. Malgaigne, 3 vol. in-4, Paris, 1840-1841.
  2. Biographie : Bernard Palissy (1510-1589), Agénois, vécut longtemps à Saintes ; d’abord ouvrier en vitraux, arpenteur, peut-être employé dans des mines, il voyagea, selon M. Dupuy, moins qu’on ne l’a dit, et seulement en France. Il trouva au bout de vingt ans d’essais le secret de son émail. Il fit à Paris, en 1575 et 1576, des conférences scientifiques. Huguenot fervent, il mourut peut-être à la Bastille.

    Éditions : Recette véritable par laquelle tous les hommes de la France pourront apprendre à multiplier et à augmenter leurs trésors, la Rochelle, 1563 ; Discours admirables de la nature des eaux et fontaines tant naturelles qu’artificielles, des métaux,