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guerres civiles.

et l’histoire littéraire ne se développèrent point comme deux séries parallèles, sans communication réciproque : une étroite connexité, de continuels échanges d’action et de réaction les lièrent. Souvent les œuvres littéraires furent des actes politiques, quelquefois des actes décisifs : mais surtout l’état politique créa des conditions qui permirent à certains genres de grandir, ou de se transformer, ou d’éclore.

Au xvie siècle, les Mémoires commencent à pulluler, presque toujours agréables, parfois excellents. Les siècles précédents n’avaient guère eu que des chroniques : mais quand l’individu se prit lui-même pour objet et fin de son activité, quand il poursuivit au delà de la durée de son être terrestre l’immortalité de la gloire, on conçoit aisément quels stimulants, dans une race sociable et causeuse, excitèrent les hommes à écrire leurs mémoires. C’était une forte tentation et un vif plaisir, de poser soi-même et de dessiner le personnage idéal qu’on voulait être dans la postérité. En même temps s’était formé un public curieux de tels récits, et qui dans l’antiquité même ne goûtait rien tant que les vies, les portraits d’âmes grandes et hautaines se dépeignant par leurs actions. Les grandes guerres de François 1er et de Henri II, donnant occasion aux énergies individuelles de se déployer, fournirent un exercice aux auteurs des Mémoires. Puis les guerres civiles, surexcitant toutes les passions, lâchant toutes les ambitions, opposant des adversaires plus détestés et plus connus, leur offrirent une matière familière et domestique, ou les faits, moindres peut-être, sont plus riches de sens et d’émotion.

Dans la foule des Mémoires du xvie siècle, les Commentaires de Monluc[1] se détachent. C’est un Gascon, soldat de fortune, de cette petite noblesse provinciale, qui s’attacha directement à la royauté, et lui fournit tant de serviteurs dévoués et dociles, pour détruire les restes de la grande féodalité, et empêcher les princes du sang de la reconstituer. Vers quinze ans, il quitte le triste

  1. Biographie. Blaise de Monluc, né en 1502, près de Condom, en Armagnac, contribue en 1544 à la victoire de Cérisoles, et s’illustre en 1555 par la défense de Sienne. Il reçoit à l’assaut de Rabastens une blessure qui l’oblige à porter un « touret de nez », et qui donne occasion à la cour de lui nommer un successeur. Il ne paraît plus qu’au siège de la Rochelle en 1573. Fait maréchal de France en 1574, il se retire à son château d’Estillac, où il dicte ses Mémoires, et meurt en 1577.

    Éditions : Commentaires, Bordeaux, 1592 ; éd. De Ruble, Soc. de l’Hist. de France 5 vol. in-8, 1864 : édition seule correcte et complète ; les deux derniers volumes contiennent les Lettres de Monluc. — À consulter : Monluc, par Ch. Normand, 1892 ; Court-ault, Blaise de Monluc, 1907, Un Cadet de Gascone au XVIe siècle, 1909.

    Autres Mémoires ; Fleuranges ; G. du Bellay, sieur de Langrey ; La Noue (dans ses Discours politiques et militaires), Castelnau ; Marguerite de Valois, etc. Le Journal de l’Estoile, si curieux, n’a point de valeur littéraire.