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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/333

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la littérature militante.

d’exploiter et d’exprimer les passions de la populace [1]. L’éloquence dégoûtante, triviale, boulonne, sanguinaire des prédicateurs de la Ligue n’appartient pas plus à la littérature que, sous la Révolution, les diatribes de l’Ami du Peuple ou les grossièretés du Père Duchéne. En attendant que Henri IV ait remis la controverse et la prédication au ton qui leur convient, les débuts de Du Perron et de Du Plessis-Mornay [2]promettent dès lors de meilleurs jours.

Mais ce qui dégradait l’éloquence de la chaire lit naître l’éloquence politique. Il avait pu y avoir dans les siècles précédents quelques harangues vigoureuses, quelques saillies de naturel éloquent, auxquelles les États généraux, les assemblées de l’Université ou diverses occasions de troubles civils avaient pu donner lieu. Il n’y avait pas eu d’orateur à qui l’on pût donner vraiment ce titre ; il n’y avait pas de tradition oratoire. Voici que pour la première fois l’éloquence politique semble se constituer chez nous, par la coïncidence heureuse du retour à l’antiquité, qui offre les grands modèles, et d’un demi-siècle de discordes, qui, affaiblissant le pouvoir central, ouvrent aux divers corps de l’État la liberté de la parole [3]. Pendant les trente-cinq ans qui séparent la mort de Henri II de l’entrée de Henri IV à Paris, deux hommes se tirent de pair par le talent oratoire : L’Hôpital et Du Vair.

Il appartient à l’histoire d’estimer le rôle du grand homme de bien qui fut L’Hôpital [4]. Mais il nous faut chercher l’inspiration qui anima son éloquence. Confondant l’État et le roi, non comme le courtisan pour livrer l’État au bon plaisir du roi, mais pour que le

  1. À consulter : pour les protestants, Sayous, ouvr. cité, t. 1, Bèze et Viret ; pour les catholiques, Labitte, De la Démocratie chez les prédicateurs de la Ligue, in-8, 1841.
  2. À consulter : Oraison funèbre de Ronsard, par Du Perron (1586), au t. VIII des Œuvres de Ronsard, édit. Blanchemain. Du Plessis-Mornay, Traité de l’Église, 1579 ; et Traité de la vérité de la religion chrétienne, 1581.
  3. À consulter : Aubertin, l’Éloquence politique et parlementaire en France avant 1789, 1882. Chabrier, les Orateurs politiques de la France, 1888.
  4. Michel de l’Hôpital, né en Auvergne vers 1505, fut emmené en Italie par son père qui suivit le connétable de Bourbon, étudia à Padoue ; et, revenu en France, devint conseiller au Parlement, président du conseil de la duchesse de Berri, président de la Chambre des comptes, enfin chancelier de France en 1560. Il lutta contre Montmorency et contre les Guises, travailla à la réformation de la justice, au rejet du concile de Trente, au maintien de la paix. Disgracié en 1568, il se retira à sa terre du Vignay, où il mourut en 1573.

    Éditions : Œuvres, édit. Dufey de l’Yonne. 5 vol. in-8, Paris, 1824. — A consulter : Taillandier, Nouv. Recherches historiques sur la vie et les œuvres du chancelier de l’Hospital, in-8, Didot, 1861 ; M. Taillandier réimprime le mémoire au Roi d’après l’édition imprimée en 1568 : on voit que ce mémoire fut en réalité adressé à l’opinion publique autant qu’au roi. — Il y aurait lieu d’examiner dans quelle mesure l’authenticité du Traité de la Réformation de la justice doit être suspectée : j’y trouve deux pages bien étonnantes de divination sur les conséquences que les abus sociaux doivent nécessairement amener, et je doute qu’une créature des Seguier ail pu écrire de telles choses au xviie siècle.