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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/36

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le moyen age.


4. PHYSIONOMIE GÉNÉRALE DU MOYEN ÂGE.


Mais il nous faut maintenant revenir au point de départ, à la première époque de la littérature française, et embrasser d’un regard les principaux caractères du monde qui s’y exprime et s’y réjouit.

Pauvre et triste temps que cette fin du xe siècle où se fait entendre à nous la voix grêle qui dit la vie et la mort de saint Léger. Si la dramatique angoisse de la chrétienté aux approches de l’an 1000 a été reléguée par la critique contemporaine au nombre des légendes, la réalité n’est guère moins sombre. En France comme ailleurs, il semble que l’esprit humain subisse une éclipse. Ne nous attachons pas à la société cléricale, qui d’abord fournit si peu à la littérature française. Elle n’a pas encore ses grands docteurs qui combattent l’hérésie, définissent le dogme et scrutent les grands problèmes de la philosophie. Elle est envahie par les misères du siècle, par la brutalité, l’ignorance, la superstition, et son peuple de moines appelle sans cesse la colère et le zèle des réformateurs. Elle a pourtant de florissantes écoles, qui depuis Charlemagne ont vaincu la difficulté des temps. Elle a cette école de Reims, que dirigea Gerbert ; elle a l’école de Paris où commenceront à retentir au siècle suivant les grandes disputes.

Hors d’elle, il n’y a qu’ignorance et faiblesse d’esprit. Nobles, bourgeois, ou vilains, il n’y a guère de différence entre les classes ; l’égalité intellectuelle est aussi réelle que l’inégalité sociale ; savoir le latin, savoir écrire, savoir lire, sont choses rares, et qui trahissent quelque relation ou caractère clérical. La vision du monde matériel ou moral est la même dans les châteaux, les villes et le plat pays [1]. Sous la voûte tournante et constellée du ciel, par delà laquelle résident la Trinité, la Vierge, les anges et les saints, au-dessus de l’horrible et ténébreux enfer d’où sortent incessamment les diables tentateurs, au centre du monde est la terre immobile, « où se livre le combat de la vie, où l’homme déchu mais racheté, libre de choisir entre le bien et le mal, est perpétuellement en butte aux pièges du diable, mais est soutenu, s’il sait les obtenir, par la grâce de Dieu, la protection de la Vierge et des saints [2] » : lutte tragique, où la victoire assure a l’homme une éternité de joie, la défaite une éternité de supplices. « Le grand événement de la vie, dans cette conception, c’est le péché, il s’agit de l’éviter ou de l’expier. » La religion l’enseigne : mais de son enseigne-

  1. Cf. Gebbart, l’État d’âme d’un moine de l’an 1000 : le Chroniqueur R. Glaber R. des Deux Mondes. 1er oct. 1891).
  2. G. Paris, la Litt. fr. au moyen âge. p. 15.