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la préparation des chefs-d'œuvre.

moyen d’être fort, c’est d’être sobre. Il a fait rendre au vers français, détendu par la molle fluidité des Bertaut et des Montchrétien, de plus âpres, mais de plus fiers accents. On peut trouver sa forme étriquée, ses rythmes monotones et simples : songeons que la liberté antérieure était indétermination, confusion : il a réglé la cadence de la poésie comme il était possible en son temps, et il fallait passer par la simplicité classique pour arriver à la complexité plus riche de l’harmonie romantique.

Ses adversaires dont plusieurs eurent plus de génie que lui, le combattirent sans le comprendre. « Comment serait-il possible, disait la pétulante demoiselle de Gournay, que la poésie volât au ciel, son but, avec une telle rognure d’ailes, et qui, plus est, écloppement et brisement ?… Belle chose vraiment, pour tant de personnes qui ne savent que les mots, s’ils savent persuader au public qu’en leur distribution gise l’essence et la qualité d’un écrivain… Eux et leurs imitateurs ressemblent le renard qui, voyant qu’on lui avait coupé la queue, conseillait à tous ses compagnons qu’ils s’en tissent faire autant pour s’embellir, disait-il, et se mettre à l’aise… Ils ont vraiment trouvé la fève au gâteau d’avoir su faire de leur faiblesse une règle et rencontrer des gens qui les en crussent. » Elle criait que cette poésie correcte et populaire était trop facile à faire, trop facile à comprendre. Régnier, avant elle, dans sa Satire IX, avait méprisé ce grammairien, ce regratteur de mots, qui mettait le génie à la gêne et ne savait qu’éplucher le détail. Théophile disait fièrement :

Malherbe a très bien fait, mais il a fait pour lui…
J’aime sa renommée, et non pas sa leçon…
La règle me déplaît, j’écris confusément,
Jamais un bon esprit ne fait rien qu’aisément.

Le pauvre garçon, qui eut tant de belles qualités, de si heureuses inspirations, et qui n’est arrivé qu’à être inconnu ou ridicule, est la vivante justification de Malherbe. Il s’est perdu par la négligence et par la fantaisie ; il n’a su atteindre, avec sa libre humeur, ni l’impérissable beauté de la forme, ni l’universelle vérité des choses. Il eût mieux fait de pratiquer la leçon de Malherbe, qui lui eût appris à le surpasser.


3. RAISONS DU SUCCÈS DE MALHERBE.


Les ennemis de Malherbe n’y purent rien : il obtint gain de cause auprès de ses contemporains. Ils trouvaient en lui des idées et un esprit conformes aux leurs. Il exprimait le besoin de paix, d’ordre, de discipline, qui était celui de toute la France. Il exprimait aussi ce besoin non moins universel de comprendre, cette