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trois ouvriers du classicisme.

nesque répond à un besoin impérieux d’effort et d’action. Les romans et les épopées ne sont que des caricatures du type vigoureux dont Corneille nous donne le portrait, et Descartes la définition. Après 1660, un autre type prévaudra, en qui l’activité sentimentale sera développée au détriment de l’activité volontaire, et qui fera une place de plus en plus grande aux sentiments féminins. On ne saurait trop s’attacher à les distinguer, et les formules du Traité des Passions nous en offrent un moyen facile.

Plus large encore est la portée du Discours de la méthode ; ici, Descartes ne représente plus sa génération : il représente son siècle, à certains égards même les temps modernes. Le « Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences » est la biographie d’une pensée ; et du seul caractère narratif et descriptif de l’ouvrage sortent visiblement deux traits de la physionomie intellectuelle de Descartes : au lieu d’une exposition théorique de sa méthode, il nous en décrit la formation dans son esprit, et présente ses idées comme autant d’actes successifs de son intelligence, de façon à nous donner en même temps qu’une connaissance abstraite la sensation d’une énergie qui se déploie ; le tempérament actif des hommes de ce temps est devenu chez Descartes une puissance créatrice d’idées et de « chaînes » d’idées.

En second lieu, ces actes intellectuels sont toute la vie du philosophe ; le reste ne compte pas dans son autobiographie, et toutes les déterminations de sa vie extérieure, choix d’une profession, voyages, retraite, expatriation, ont toujours pour fin d’assurer un jeu plus facile et plus libre à l’activité de son esprit : par là Descartes est l’homme idéal du xviie siècle, l’homme-pensée.

Il nous expose donc dans son Discours comment l’éducation de ses précepteurs, les jésuites, n’ayant donné aucune satisfaction au besoin essentiel de son esprit, il s’est efforcé de se donner lui-même le bien sans lequel il ne pourrait vivre : ce bien, c’est la connaissance, et ce besoin, le désir de la vérité. Pour la trouver, il a sa raison, dont c’est la fonction naturelle, et qui ne peut y manquer, si elle est bien dirigée. Remarquant donc que seuls les mathématiciens ont su découvrir quelques démonstrations, c’est-à-dire « quelques raisons certaines et évidentes », il extrait de leur méthode quelques règles absolues et générales, qui lui servent à vérifier tous ses jugements. Révoquant tout en doute, tout ce que les hommes estiment le plus certain, et ce que lui-même avait cru jusque-là, bien résolu à « ne recevoir jamais aucune chose pour vraie qu’il ne la connût évidemment être telle », il s’attache à saisir une vérité et comme un bout du fil infini des vérités, qui s’entretiennent toutes. Il s’assure ainsi de l’existence