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corneille.

d’Argenteuil après 1676, non plus tôt comme certains l’ont cru. Nous noterons seulement qu’il était Normand, et avocat : deux garanties de subtilité d’esprit. Il fut élevé chez les jésuites, dont les théologiens seront précisément les défenseurs du libre arbitre contre le jansénisme. Ce fut un bonhomme, de mœurs très simples, marguillier de sa paroisse à Rouen, dévot, très sincèrement et naïvement dévot : il occupa ses loisirs, pendant qu’il fut éloigné du théâtre de 1652 à 1659, à traduire en vers des chants d’Église et l’Imitation de Jésus-Christ ; plus tard, il fera encore l’Office de la Vierge. Il était fier et besoigneux : de là vient qu’il quémandait ou remerciait tantôt bassement, tantôt avec quelque raideur : jamais adroitement. Les passions ne troublèrent pas sa vie : il était homme de famille, et vécut dans une étroite intimité avec son frère Thomas, de vingt ans plus jeune que lui. Il avait l’esprit timide et scrupuleux : il se tourmenta fort à chercher les fautes de ses pièces, et les excuses de ses fautes ; il n’avait pas la vanité contente, mais la vanité inquiète. Il prépara avec grand soin les éditions séparées de ses pièces et les éditions générales de ses œuvres, multipliant les corrections, épluchant avec une attention minutieuse chaque vers, chaque syllabe de son texte. Il porta l’esprit de Malherbe à la scène, jusque-là livrée aux raffinés négligents, et il y fit valoir la simplicité travaillée.

Étant homme, et poète, il aimait ce qui venait de lui, et préférait ce qu’il voyait mal reçu du public. Il quitta le théâtre par un dépit d’auteur sifflé, après Pertharite : il y rentra, au moment où disparaissaient et les modèles qu’il peignait et le public qui avait fait sa renommée. Cette retraite est le grand événement de sa vie. Quand il reparut, il lui fallut plaire à un autre goût, à une nouvelle génération, très infatuée d’elle-même et dédaigneuse des vieilles modes ; le grand Corneille se fit doucereux, gauchement, à la façon de Quinault. Mais il ne put tenir contre Racine : il fut jaloux, et malheureux. Sa pauvreté lui fut moins amère que cette gloire d’un rival, qui lui semblait un vol fait à son génie.


1. LA FORME DU DRAME CORNÉLIEN.


Le principe fondamental du théâtre de Corneille, c’est la vérité, la ressemblance avec la vie. Il a tâtonné d’abord, s’étant formé

    neille, qui sont antérieurs à 1862, Marty-Laveaux, t. XII, p. 517-567. — Depuis 1862 : E. Picot, Bibliographie Cornélienne, in-8, 1876. (Additions, par Le Verdier et Polay, 1908) ; Brunetière, les Époques du théâtre français, 1re et 2e Conf., 1892. Bouquet, Points obscurs et nouveaux de la vie de Corneille, in-8, Paris, 1888. Lemaître, Impressions de théâtre, t. I, III et V ; G. Lanson, Corneille (Coll. des Grands écrivains), 1898.