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corneille.

chose que l’exaltation de la volonté, donnée comme souverainement libre, et souverainement puissante. Il n’est rien que les héros cornéliens affirment plus fréquemment, ni plus fortement que leur volonté, claire, immuable, libre, toute-puissante.

Je le ferais encore, si j’avais à le faire (le Cid, Polyeucte).
Et sur mes passions ma raison souveraine (Pauline dans Pol.).
Je suis maître de moi comme de l’univers,
Je le suis, je veux l’être… (Auguste dans Cinna).

Le Cid tuant le père de Chimène, Chimène demandant la tête du Cid, Pauline aimant Sévère, le lui disant et lui montrant en même temps qu’il n’a rien à espérer, Sévère s’efforçant de sauver Polyeucte dont la mort rendrait libre la femme qu’il aime : autant d’exemples et de triomphes de la volonté. Même Polyeucte, le saint, l’extatique, l’illuminé, même Horace, le patriote furieux, même Camille, l’amoureuse fanatique, manifestent surtout la volonté : tous les trois ont cette forme supérieure de l’amour qui est la dévotion, et dans laquelle la raison attribue une perfection, donc une valeur infinie à l’objet aimé, en sorte que la volonté s’applique tout entière et ramasse toutes les énergies de l’âme au service de l’amour. Mais le miracle de la volonté, c’est dans Cinna qu’on le trouve, dans Auguste. Descartes intitule un de ses articles : Comment la générosité peut être acquise ; c’est le cas d’Auguste, dont l’âme, mauvaise, égoïste, féroce, s’élève à l’héroïsme du pardon par un effort de volonté, lorsque sa raison l’a désabusé des faux biens où s’égarait sa convoitise.

Tous les personnages de Corneille, du moins ceux du premier plan, les héros sont construits sur cette donnée, les femmes comme les hommes, les scélérats comme les généreux. Tous agissent par des déterminations de la volonté, d’après des maximes de la raison. De là vient qu’on reproche à ces caractères d’être raides, et tout d’une pièce : car tant que la raison persiste dans ses maximes, la volonté persiste dans sa conduite. De là vient qu’on leur reproche de se démentir, et de pivoter tout d’une pièce : si parfois la raison s’éclairant change de maximes, la volonté suit, et toute l’âme ; ainsi Émilie, à la fin de Cinna :

Ma haine va mourir, que j’ai crue immortelle.
Elle est morte…

Et rien du vieux levain ne fermentera plus en elle : elle sera paisible dans la tendresse comme elle avait été assurée dans la fureur. De là vient aussi que Racine reprochait à Corneille ses