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la première génération des grands classiques.

Le foyer du jansénisme, en France, fut l’abbaye de Port-Royal : c’était une communauté cistercienne de femmes établie depuis 1204 dans la vallée de Chevreuse, et réformée en 1608 par la mère Angélique Arnauld ; elle fut transportée, en 1626, à Paris, au faubourg Saint-Jacques. Du Vergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, directeur de la maison à partir de 1636, y implanta la doctrine de Jansénius avec qui il était lié, et fit de ces filles les croyantes obstinées, au besoin les inflexibles martyres de ce qu’elles regardèrent comme la pure vérité de Jésus-Christ. Quand le jansénisme commença de se répandre dans le monde, on se tourna vers Port-Royal comme vers le sanctuaire, le centre religieux de la nouvelle Église : les bâtiments de Port-Royal des Champs furent relevés [1] et servirent d’asile aux solitaires, aux hommes saints que la grâce avait touchés, et qui, sans se lier par aucuns vœux, sans quitter leur nom, sans former une communauté régulière, venaient vivre là, dans la retraite, une vie d’étude et de piété.

L’année 1638 commença la gloire et les malheurs de Port-Royal et du jansénisme : cette année-là, Antoine Le Maître [2], avocat, conseiller d’État, quitta l’espoir d’une haute fortune pour se retirer à Port-Royal. Cette année là, aussi, Saint-Cyran fut emprisonné par ordre de Richelieu, et les solitaires dispersés. Les jansénistes avaient d’ardents ennemis, surtout les jésuites, qui se voyaient disputer par eux la direction des âmes et l’éducation des enfants, et qui, défenseurs des prétentions romaines, les regardaient comme le parti avancé du gallicanisme. L’autorité civile, se souvenant du siècle précédent, craignit que la secte religieuse ne contînt le germe d’un parti politique, et crut de son intérêt de faire cause commune avec les jésuites, servant ainsi ceux qui devaient la combattre et persécutant ceux qui devaient la défendre dans ses rapports avec Rome.

Dès lors Port-Royal n’eut plus guère de repos. Cinq articles ou propositions, qu’on tira de l’Augustinus, furent condamnés par la Sorbonne, par les évêques (1656), par le pape (1653 et 1656). Les jansénistes soutinrent que les propositions n’étaient pas dans Jansénius (elles n’y étaient pas textuellement, mais elles étaient l’âme du livre, selon Bossuet), et ils refusèrent de les condamner comme étant de lui. Les femmes furent aussi fermes que les hommes. La défense des jansénistes fut belle : ils firent des miracles de constance, ils développèrent leur force et leur subtilité d’esprit, ils furent adroits, perfides même autant qu’héroïques, contre des ennemis à qui toutes les armes étaient bonnes. Rien n’y fit. Les

  1. Il y revint aussi des religieuses à partir de 1648.
  2. Ils étaient trois frères, neveux d’Arnauld : Antoine Le Maître, Le Maître de Saci, traducteur de la Bible et de Térence, et Le Maître de Séricourt.