Aller au contenu

Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/474

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
452
la première génération des grands classiques.

toutes les doctrines qui ont demandé le plus à la volonté humaine ont posé en principe l’impuissance de la volonté ; elles ont ôté le libre arbitre et livré le monde à la fatalité. Le jansénisme présente à l’homme la « face hideuse » de l’Évangile ; il l’abîme dans la profondeur de sa misère et de son néant, et il dresse devant lui l’inaccessible perfection où il faut qu’il atteigne. Il le désespère, l’écrase, l’oblige de renoncer à tout ce qui fait la vie aimable et douce, à la science même et à l’exercice de l’esprit : une seule œuvre est nécessaire et permise, celle du salut, dont la pensée doit être la seule pensée de l’homme, et toute sa vie.

Par cette austérité de leurs enseignements, et par les grands exemples qui la soutenaient, les jansénistes ont exercé sur le xviie siècle une influence disproportionnée à leur nombre, et qui contraste avec leur oppression. Aussi bien étaient-ils au gré du siècle par la forme de leur esprit ; quoiqu’on rencontre parmi eux quelques âmes tendres et mystiques, en général leur ascétisme est plus intellectuel que sentimental : ce sont de rudes dialecticiens, âpres disputeurs, subtils tireurs de raisonnements, infatigables chercheurs de clarté et d’évidence logique. Ils ont été des premiers à s’emparer du cartésianisme, ils en ont neutralisé l’esprit en s’en appropriant la méthode. Le principe même de leur hérésie dogmatique est tout rationaliste : c’est en appliquant la raison aux choses de la foi, en refusant de s’incliner devant le mystère, en s’obstinant à résoudre une contradiction que l’Église se résigne à ne pas lever, qu’ils ont élevé la toute-puissance de la grâce sur les ruines du libre arbitre ; leur doctrine est une tentative pour reculer la limite de l’incompréhensible dans le dogme.

Héros de la volonté, par le perpétuel effort de leur conduite, maîtres de la raison, par les infatigables argumentations de leurs livres, à ce double titre ils dominèrent leur siècle ; et ainsi s’est fait que tout ce qui n’était pas épicurien ou jésuite, a relevé d’eux plus ou moins. Il y eut, hors de leur secte, sans nulle adhésion à celles de leurs opinions que l’Église condamnait, nombre de gens qui tinrent à Port-Royal ; et à vrai dire ces jansénistes du dehors furent, ou peu s’en faut, tout ce qui avait de l’élévation dans l’âme et dans l’esprit, mondaines pieuses, telles que Mme de Sévigné, catholiques soumis et fervents, tels que Bossuet, ou rationalistes chrétiens, tels que Boileau.

Une des meilleures choses du jansénisme, ce furent ses écoles. Port-Royal ne fit pas beaucoup pour l’éducation des filles ; le règlement rédigé par Jacqueline Pascal en 1657 en est la preuve. Mais l’école de Port-Royal des Champs, où les garçons recevaient l’enseignement d’hommes tels que Lancelot, Nicole, Arnauld, fut