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pascal.

trières à la religion : entre les mains des casuistes, l’originale hauteur de la morale chrétienne s’amortissait, se fondait, s’aplanissait, et tendait à se mettre de niveau avec la mollesse équivoque de la morale mondaine.

Pascal et le jansénisme ont rendu au christianisme sa raison d’être, lorsqu’ils l’ont ramené à être un principe d’effort moral, lorsqu’ils ont remis dans le chemin de la vertu ses épines et ses ronces. Ils ont eu raison même absolument, en dehors de tout dogme, du seul point de vue de la conscience, lorsqu’ils ont rétabli la lutte incessante, obstinée contre l’instinct et l’intérêt, l’inquiétude de tous les instants, comme les conditions de la moralité, et qu’aux décisions des directeurs complaisants ils ont opposé leur rigorisme, l’obligation, dans tous les cas douteux, de choisir le parti le plus dur, et de décider contre l’égoïsme, par la seule raison qu’il est l’égoïsme.

Il y avait aussi quelque chose d’inquiétant, de scandaleux même, dans l’opération logique qui tirait de la règle une pratique contraire à l’esprit de la règle : l’avantage de sauver la règle cédait ici à l’inconvénient de blesser les consciences par l’équivoque tortueuse et la subtilité hypocrite. C’est ce que sentirent les gens du monde qui, sans aucun goût jour l’ascétisme chrétien, applaudirent à la dénonciation de la morale facile : ils voulaient bien faire ce que les casuistes autorisai en t, se dispenser du jeûne, se battre en duel, cajoler les dames, prêter à intérêt ; mais ils voyaient bien que ces choses-là ne s’autorisaient pas par les principes dont les casuistes les dérivaient. Quiconque aimait la franchise et la sincérité, fut avec Pascal.

Enfin les Provinciales sont un acte de bon goût, et comme de salubrité esthétique et littéraire : il était bon, au temps où la littérature profane allait se débarrasser du romanesque espagnol, de barrer la route aussi aux fantaisies extravagantes où l’imagination religieuse se complaisait de l’autre côté des Pyrénées. En écrivant ses pamphlets, Pascal se faisait le défenseur de la raison classique dans le domaine de la religion.

Il y a un point où les adversaires de Pascal avaient raison : c’est quand ils l’accusaient de rire des choses saintes. Je n’ai pas besoin de dire que Pascal riait seulement des jésuites, et qu’il respectait la religion autant qu’aucun de ses adversaires, en la comprenant mieux. Cependant ceux-ci avaient plus raison qu’ils ne croyaient eux-mêmes. Pascal a frayé la voie à Voltaire : et voici comment. Une des réponses qu’on lui opposa notait le « ton cavalier » de sa polémique ; disons l’accent laïque. C’est un homme du monde qui parle aux gens du monde : une raison qui se communique à la raison de tous. Voilà le danger. Il est le même que lorsque les Réformateurs avaient convié le peuple à examiner les